Napoléon Bonaparte et les livres

Lecteur insatiable et exigeant, Napoléon Bonaparte dévora inlassablement tous les livres propres à lui être utiles. Curieux de tout, il ne délaissa aucun genre. Précautionneux avec les ouvrages qu’il aimait, il n’avait en revanche aucune pitié pour ceux qu’il jugeait seulement bons à nourrir…la cheminée !


Napoléon Bonaparte : l’éducation par les livres

La modeste bibliothèque de Charles Bonaparte (1746 – 1785) dans la maison familiale d’Ajaccio fut la première source qui abreuva le futur empereur. Le jeune Napoléon y découvrit des auteurs qui l’accompagnèrent tout sa vie : Plutarque, Homère et Virgile pour ne citer qu’eux. Naquit alors chez lui la passion pour l’histoire et la politique ; la lecture de quelques ouvrages sur la Corse vint enrichir un patriotisme d’abord insulaire. Puis la bibliothèque de l’École royale militaire de Brienne, mise à sa disposition pendant ses études, fit de lui un lecteur assidu avec un goût toujours plus affirmé pour les classiques antiques et de la Renaissance. Ce goût lui fut reproché par celui que Napoléon admira longtemps : Pasquale Paoli (1725 – 1807), homme politique corse, qui le tança d’un sarcasme tranchant, reprochant à son admirateur d’« être entièrement sorti de Plutarque ». Le héros du jeune Napoleone était bien sévère… Les premières années du lieutenant, officier puis capitaine Bonaparte furent pour lui des occasions de boulimie de lecture. Le futur Napoléon Ier entendait pallier à ses lacunes par un apprentissage rigoureux de tout ce qu’il estimait lui manquer. Brienne ne lui avait pas tout enseigné et la fréquentation de quelques salons lui apprit qu’il se devait de s’enrichir intellectuellement. À Valence, le jeune lieutenant noua de solides relations avec le bien nommé libraire Marc-Aurel dont il dévora la bibliothèque. Le fils du brave érudit imprimera un écrit de Bonaparte lorsque ce dernier avait encore quelques prétentions littéraires. Bonaparte renouvela cette expérience relationnelle en correspondant un temps avec Paul Borde, libraire à Genève. La période révolutionnaire n’éveilla pas seulement chez lui le goût pour l’État et la société. Les nombreux bouleversements soulevaient des questions dont il cherchait partout les réponses ; les ouvrages d’histoire et de théorie politique avaient alors naturellement toute son attention. Dans son propre domaine militaire aussi, il étudiait sans cesse : les principes et l’histoire de l’artillerie, l’art du siège, Machiavel ou les récits des campagnes de Frédéric le Grand (1712 – 1786) furent parmi ses lectures. Plus étonnant, il jeta également son dévolu sur des ouvrages dont les sujets semblent prémonitoires au regard de l’histoire. Que penser de ses lectures sur les cultures Arabes, sur l’intérêt qu’il porta à leurs mœurs et leurs coutumes, la topographie de leurs pays comme celle de l’Égypte et de son histoire ? Il lut – nous le savons par ses correspondances et ses biographes – des livres relatifs aux finances françaises, aux lois de l’accroissement de la population et des statistiques de mortalité, aux constitutions des pays d’Asie et des anciens royaumes d’Amérique du sud. On pourrait esquisser par ces lectures le portrait d’un ambitieux, pourtant tout cela est à égale mesure avec son goût pour Montaigne et Montesquieu, Rousseau, Buffon et Mirabeau, l’astronomie, la géologie et même la météorologie. Frénétiquement, il annotait ses ouvrages – habitude qu’il ne perdit jamais -, relevait les mots qu’il ne connaissait pas et enrichissait patiemment son vocabulaire. Rien ne semble l’avoir laissé indifférent et sa mémoire prodigieuse aidant, aucun doute que les enseignements qu’il tira de ses lectures firent de lui un jeune homme éclairé mais aussi capable de se forger sa propre opinion, en puisant dans un large arsenal de connaissances. Un atout qui sans doute fit la différence en ce tournant du siècle troublé où les opinions pouvaient parfois valoir d’avoir la tête tranchée…

Portrait de Napoléon Bonaparte par Edouard Defaille (1848 - 1912). Lavis exécuté pour l’édition de 1902 de l’ouvrage Napoléon Intime, rédigé par Arthur Lévy (1847 - 1931). © Pinterest

Une fois le jeune général affecté à la petite armée d’Italie, c’est encore dans les livres que Bonaparte prépara son départ. Il s’y plongea tant et tant qu’il arriva en retard à son propre mariage avec Joséphine le 9 mars 1796, ce n’était pourtant pas faute d’avoir ardemment désiré cette union… La veille, Napoléon s’était rendu à la Bibliothèque nationale pour consulter les livres susceptibles de le familiariser avec le pays qui allait faire sa gloire. Nul doute qu’il emprunta des ouvrages ou s’en procura pour les étudier chez lui jusque tard dans la nuit. Déterminé et scrupuleux, les préparatifs de la campagne d’Italie se firent surtout par de nombreuses lectures qui détournèrent et accaparèrent le fiancé au point de lui faire repousser sa nécessaire présence auprès de la Beauharnais. Entre devoir et passion, on se fera juge de l’impossible choix qui tirailla Napoléon ! 

Quelques jours après le 18 brumaire (9 novembre 1799), les livres furent à nouveau révélateurs des intérêts du futur Napoléon Ier. Les nouveaux Consuls entreprirent de se partager la bibliothèque du Directoire ; on imagine Napoléon partisan enthousiaste de cette décision. Chacun choisit donc les livres dont il ferait un meilleur usage et le reste forma la bibliothèque du Conseil d’État. Le dévolu de Napoléon se jeta sans surprise sur les livres d’histoire et d’art militaire. Le goût de la lecture ne passa jamais et qu’il soit Consul ou empereur, il ne cessa jamais de lire. Mais notre homme avait la bougeotte et le temps des ebook était encore bien trop loin pour le laisser augurer la facilité de voyager léger ! N’ayant pas le souci de transporter les lourds ouvrages de sa bibliothèque, il fut décidé – plusieurs fois – de la création d’une bibliothèque de campagne, le projet fut long à se matérialiser…

Les bibliothèques de Bonaparte : des palais aux campagnes

La première bibliothèque de Bonaparte fut modeste et prit véritablement forme pendant la campagne d’Italie. Ces ouvrages généralement reliés en veau portent sur le dos le chiffre BP pour « Bonaparte – La Pagerie », nom de jeune fille de Joséphine qui aimait autant la lecture que Napoléon les mondanités. Dès qu’il put se le permettre, Napoléon exigea d’avoir toujours à portée de main les ouvrages dont il avait envie ou besoin. La tâche ne fut pas aisée car le général ne tenait pas en place : à peine fut-il revenu d’Italie qu’il fallut partir pour l’Égypte et ainsi de suite. Sur la navire qui le menait en Égypte, il prépara sa campagne de la même manière qu’il l’avait fait pour celle d’Italie. Les ouvrages se succédaient pour qu’il se familiarise autant que possible avec la culture, la religion, l’histoire, la topographie et les us et coutumes du pays dans lequel il s’apprêtait à livrer bataille. La bibliothèque de bord comptait près de 300 livres qui de retour en France en 1801 restèrent de nombreuses années à Marseille.

Napoléon et son fils, d’après une huile sur toile de Charles Auguste, baron de Steuben (1788 - 1856). gravée par Sixdeniers, publiée chez Jeannin à Paris. © Thierry de Maigret

Une fois empereur, Napoléon Ier réunit des milliers de livres dans ses différentes bibliothèques de Trianon, Rambouillet, Fontainebleau et surtout de la Malmaison. La collection comptait tous les genres et tous les sujets. À la Malmaison, les ouvrages portaient le chiffre de la première bibliothèque et parfois, sur le plat, l’inscription « Malmaison » en belles lettres dorées. Eugène de Beauharnais (1781 – 1824) hérita de ce trésor qui fut dispersé aux enchères en 1827. En 1815, l’empereur déchu emporta avec lui en exil quelques volumes de cette bibliothèque à laquelle il tenait tout particulièrement et dont, à Sainte-Hélène, il se souvenait avec émotion. 

Dès 1809, pendant la guerre de la Cinquième Coalition, l’idée d’une bibliothèque de campagne se fit davantage pressante. Napoléon Ier l’avait déjà exigée mais il semble qu’elle tarda à prendre forme. L’empereur s’en plaignait souvent auprès d’Antoine Barbier (1765 – 1825) son bibliothécaire mais la tâche était loin d’être aisée ! Napoléon prescrivait un ensemble de campagne comprenant pas moins de… 3000 volumes ! De quoi effrayer le bibliophile le plus dévoué !  Finalement la bibliothèque tant attendue fut réunie pour la campagne de Russie, enfin prête pour parcourir les steppes. Les caisses d’acajou qui contenaient les ouvrages furent, semble-t-il, fabriquées par Jacob Desmalter (1770 – 1841). Le bibliothécaire Barbier s’était chargé de les remplir suivant les recommandations de son impérial commanditaire. On y retrouvait sans grande surprise un nombre important d’ouvrages destinés à préparer la campagne de Russie : topographie, rapport sur les rivières, marais, bois et chemins. Et notamment, pour la nourriture de l’esprit, un petit volume de Montaigne. L’intérêt du jeune Bonaparte pour la météorologie s’était-il éteint ? On le craint ! Et la malheureuse campagne de Russie qui punira sévèrement l’empereur entraîna aussi la disparition par le feu ou le pillage d’une grande partie de la bibliothèque si longtemps désirée. 

Voici Napoléon exilé à l’Île d’Elbe. Les livres y furent encore des amis fidèles. Il relut les grands classiques antiques qu’il avait aimé dans sa jeunesse et en découvrit de nouveaux. Ainsi, Plutarque, Corneille, Racine et Voltaire côtoyaient sur les étagères les nombreux volumes des Mille et une nuits. Cette parenthèse ne dura pas longtemps et Napoléon retrouva bien vite le continent. Si la campagne de France ne lui laissa pas le loisir de lire, on le retrouve au Louvre à la fin du mois de mars 1815 où il était heureux de retrouver son bibliothécaire à qui il rapportait les ouvrages emportés pour son exil, honorant ainsi la réputation qu’il eut de toujours rendre un livre qu’il avait emprunté. 

En 1814, Napoléon quitte Fontainebleau pour l’île d’Elbe, son premier exil. Ayant la volonté d’écrire son épopée, il sélectionne un grand nombre de publications officielles et de livres d’histoire et de géographie dont ces 3 volumes in-8 (184 x 120 mm) à la reliure en veau et frappés des armes impériales sur les plats avec la men tion « Fontainebleau ». © Sotheby’s

Le second exil, que ses adversaires auront à cœur de rendre définitif, ne sera pas aussi favorable que le premier aux lectures de Napoléon. Le 25 juin 1815, quelques jours après son abdication, Bonaparte entreprit de préparer son départ et donna pour instructions à Antoine Barbier de préparer une bibliothèque composée de tous les ouvrages de campagnes auxquels il fallait ajouter des ouvrages sur l’Amérique, continent où il pensait encore pouvoir s’établir. Quatre jours plus tard, il voulut finalement emporter la bibliothèque du Trianon. La Chambre des Représentants donna son accord et ce furent 1929 ouvrages qu’il fallut alors transporter à la Malmaison avant le départ de Bonaparte pour Sainte-Hélène. C’était sans compter le contrariant Gebhard Leberecht von Blücher (1742 – 1819), général prussien, qui s’opposa au transport des livres. Ses émissaires arrivèrent après le départ de la première voiture et ce furent seulement 588 volumes qui voguèrent depuis Rochefort vers Longwood. Sur sa petite île perdue au beau milieu de l’Atlantique, Napoléon eut pour souvenir ces ouvrages dont beaucoup portaient le cachet « Cabinet de S.M. l’Empereur et Roi » ainsi que ses armes, modeste souvenir de son règne. Jusqu’à sa mort, il reçut néanmoins par l’intermédiaire de ses geôliers anglais pas moins de 1226 ouvrages brochés ou cartonnés envoyés depuis l’Angleterre entre 1816 et 1821. On était alors plus proche du livre de poche que de ceux de la Pléiade, mais qu’importe, un féru de lecture ne s’attarde pas sur la forme pourvu que le fond soit bon ! Ces livres furent vendus en 1823 à Londres par la maison Sotheby’s. 

Napoléon et la lecture : une efficacité redoutable 

Chaque amoureux des livres a ses petits travers et habitudes. Certains annotent les pages, d’autres les plient, les tâchent. D’autres encore donnent les livres qu’ils n’ont pas aimé ou les laissent dans un endroit public. Napoléon Bonaparte, comme tout lecteur qui se respecte, posséda aussi ses petites manies. Des manies qui n’étaient cependant pas accessibles au commun des mortels !

Bonaparte exigeait partout l’efficacité. Pas de circonvolution pour lui, l’essentiel avant toute chose ! Ainsi exigea-t-il pour sa bibliothèque de campagne que les (3000 !) ouvrages qu’il souhaitait avoir à portée de main soient tous revus afin de « les corriger, d’en supprimer tout ce qui est inutile comme les notes d’éditeurs, tout texte grec et latin ; ne conserver que la traduction française. Quelques ouvrages seulement italiens, dont il n’y aurait pas de traduction, pourraient être conservés en italien. » (Antoine Barbier) ; de l’efficacité, toujours. Était-il occupé à autre chose ou fatigué de lire, ses lecteurs prenaient le relais bien qu’il leur préféra toujours Joséphine qui lisait, dit-on, avec le charme particulier qu’elle mettait en toute chose. Le pauvre Louis-Antoine Bourrienne (1769 – 1834) qui devait parfois la remplacer dans cette tâche devait faire bien pâle figure !

Napoléon lisant. Estampe gravée d’après un croquis d’après nature à Sainte-Hélène par Anne-Louis Girodet (1767 - 1824) (collection Chéramy).

Enfin il est une habitude de l’Empereur qui illustra toujours son intransigeance. Si un livre avait le malheur de lui déplaire, ni une ni deux il le jetait au feu ! Et gare à celui de ses proches qui lisait un ouvrage de ce genre car Bonaparte réservait à ces livres le même sort : le bûcher ! Rien ne l’agaçait tant que de perdre son temps à une lecture qu’il jugeait mauvaise et Claude François de Ménéval (1778 – 1850), secrétaire particulier de l’Empereur, conjura Barbier pendant la campagne de 1809 d’envoyer à Bonaparte de meilleures volumes car les livres décevants « ne font qu’un saut de la valise du courrier dans la cheminée. Il ne faut plus envoyer de ces ordures-là… Envoyez le moins de vers que vous pouvez à moins que ce ne soit de nos grands poètes. » Pas de cheminée à proximité ? Qu’à cela ne tienne ! Napoléon jetait tout aussi bien les livres par la fenêtre de sa voiture. Les pages de sa suite ne manquaient dès lors pas de les ramasser, formant patiemment une bibliothèque qui – si elle eut été intégralement incendiée par l’Empereur – les occupaient pendant leurs nombreux déplacements. 

Si ce portrait de Napoléon lecteur semble austère, il faut enfin l’adoucir par le goût de l’empereur pour des lectures plus légères. Ainsi, le Mamelouk Ali rapporta qu’à Sainte-Hélène, Bonaparte eut plaisir à relire un ouvrage de littérature badine quasiment inégalé à son époque : Vert-Vert écrit en 1734 par Jean-Baptiste Gresset. L’ouvrage humoristique ne manqua jamais de faire rire Napoléon qui appréciait, quand ils étaient bien menés, les sujets plein de légèreté… 


L’épopée napoléonienne au fil du métro parisien

Parmi les stations de métro de Paris intramuros, certaines sont célèbres dans le monde entier et raisonnent de la grande Histoire de la France. On lit ainsi en filigrane sur les cartes parisiennes, les grands moments de l’épopée napoléonienne.  

La fierté de la Grande Armée

Essaimés sur presque toutes les lignes du métro parisien, les grands noms militaires qui forgèrent la réputation de la Grande Armée dévoilent l’importance de l’Empire napoléonien dans l’histoire de France.  Sur la ligne 6, la station Cambronne rend hommage à celui qu’on dit encore l’auteur du fameux « mot ». Pierre Cambronne (1770 – 1842), brillant général de brigade puis Major de la Garde impériale en 1814, fut un des plus fidèles de Napoléon. À ses côtés à l’Île d’Elbe, il impressionna les Anglais à Waterloo (juin 1815) par une résistance déterminée bien que désespérée, répondant avec force à leur sommation de se rendre par le fameux mot qui le rendit célèbre : un « Merde ! » exaspéré dont la concision fut unanimement appréciée dans l’un et l’autre des camps. Mourant sur le champs de bataille, il fut fait prisonnier par les Britanniques puis libéré. Il mourra 27 ans plus tard à Nantes. Victor Hugo (1802 – 1885), dont l’aversion pour le Second Empire n’était un secret pour personne, se souvint du fameux mot et s’en servit habilement, estimant que « Cambronne à Waterloo a enterré le premier Empire dans un mot où est né le second. » Une remarque qui, sans doute, ne raffermit pas les liens déjà lâches entre Napoléon III et l’écrivain.

À quelques stations de Cambronne, le général Jean-Baptiste Kléber (1753 – 1800) a lui aussi donné son nom à un arrêt de la ligne 6. Bien qu’il s’illustra tout autant durant les guerres de la Révolution française, son indépendance d’esprit ne lui permit pas d’accéder à un commandement en chef. En 1797, Bonaparte l’emmène avec lui en Égypte mais repartira sans son général à qui il donna avant son départ le commandement suprême de l’armée d’Égypte. Laissé ainsi dans une situation délicate face aux Anglais, Kléber dut signer la convention D’El Arich en janvier 1800. Cette dernière bafouée par l’amiral Keith, le général reprit les hostilités et gagna brillamment la bataille d’Heliopolis en mars avant d’être assassiné au Caire en 1800. Ses cendres reposent aujourd’hui place Kléber, à Strasbourg. 

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Sculpture en bronze de Pierre Cambronne par Jean Debay, 1848 et installée cours Cambronne à Nantes.

Cette promenade dans le métro parisien amène étonnement à relever la couardise anglaise qui finança la bataille d’Austerlitz ou Bataille des Trois Empereurs sans y participer. Car la station Gare d’Austerlitz, ligne 10, porte le souvenir de cette victoire napoléonienne éclatante, dont le nom fut écarter par délicatesse du chemin de l’Eurostar quand nos voisins britanniques taquins ne nous épargnaient pas, il y a encore quelques années, un accueil à Waterloo. Le 2 décembre 1805, les empereurs François II et Alexandre Ier affrontaient le stratège empereur français au sud de la Moravie. Le génie tactique de Napoléon s’y déploya tout entier depuis les chemins de campagne jusqu’au champ de bataille, marquant l’histoire durablement : aujourd’hui encore ce chef d’œuvre guerrier est enseigné dans les écoles militaires. Sur la même ligne, nous retrouvons le souvenir de Molitor (1770 – 1849), Gabriel de son prénom, qui participa à de nombreuses campagnes napoléoniennes après avoir fait ses armes pendant la Révolution puis resta fidèle à l’Empereur qu’il rejoignit pendant les Cent-Jours. En 1809, il s’était distingué à la bataille de Wagram (dont une station de la ligne 3 porte le souvenir) tout comme Christophe de Michel du Roc dit Duroc (1772 – 1813) dont le nom marque également un arrêt de la ligne 10. 

Ce grand maréchal du palais de Napoléon Ier inscrivit son nom dans la campagne d’Italie mais ses qualités de diplomate lui valurent bien davantage que des honneurs militaires en obtenant la confiance pleine et entière de Bonaparte. Courageux, intelligent et loyal, Duroc fut personnellement chargé de la sûreté de l’Empereur sans pour autant renoncer à des missions importantes que Napoléon Ier ne voulait voir traiter que par lui seul. À sa mort, des honneurs extraordinaires lui furent rendus et en 1815, l’Empereur déchu ne choisit rien d’autre que le nom de Duroc pour se rendre à Rochefort depuis la Malmaison. Aujourd’hui, les cendres de cet homme brillant, dont le nom est gravé sur l’Arc de Triomphe, reposent aux côtés de Bonaparte aux Invalides. 

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Sculpture du général Duroc sur l'aile Rohan-Rivoli du Louvre. © EUtouring

Sur la ligne 9, l’arrêt Iéna nous porte en Allemagne, souvenir de la bataille du 14 octobre 1806 qui opposa les Français aux Prussiens. La campagne d’Allemagne avait pourtant débuté bien avant et le 7 octobre 1805 à Donauwörth, presqu’un an jour pour jour avant Iéna, Rémy Isidore Joseph Exelmans (1775 – 1852), dit « Le lion de Rocquencourt », se voyait honoré de porter à l’Empereur les drapeaux pris à l’ennemi. L’accueil qui lui fut réservé le marqua longtemps car Bonaparte fut élogieux : « Je sais qu’on n’est pas plus brave que toi : je te fais officier de la Légion d’honneur. » Qu’on ne s’y trompe pas, le tutoiement ici valait bien davantage que le compliment. Napoléon Ier, après cela, le tutoya toujours. Une station porte aujourd’hui le nom de celui qui remporta, juste après l’abdication de l’Empereur, la dernière victoire française des guerres napoléoniennes. Eut-il, notre Exelmans, obtenu ces mêmes honneurs s’il ne s’était dans sa jeunesse lié d’amitié à Joachim Murat ? 

Ce même Murat qui aux yeux de l’Empereur était à la cavalerie ce que Drouot était à l’artillerie. Antoine Drouot (1774 – 1847), dont le nom marqua l’Histoire autant que le marché de l’art, se trouve aujourd’hui en compagnie de Richelieu : ligne 9, la station Richelieu-Drouot ne s’embarrasse pas des caractères. L’ambitieux duc de Richelieu, habile stratège, retors et intransigeant s’entend-il avec ce général napoléonien ? Si l’on en croit la description qu’en donnait Napoléon, sûrement la cohabition n’est pas aisée… 

« Drouot est un des hommes les plus vertueux et des plus modestes qu’il y eut en France, quoiqu’il fut doué de rares talents. Drouot était un homme […] qui vivait aussi satisfait, pour ce qui le concernait personnellement, avec 40 sous par jour que s’il jouissait des revenus d’un souverain. Charitable et religieux, sa morale, sa probité et sa simplicité eussent été honorées dans le siècle du plus rigide républicanisme. »

Ironiquement, nous doutons pouvoir attribuer au célèbre cardinal les qualités de l’humble général tandis que celles qui caractérisent d’ordinaire un général, le cardinal les posséda toutes.

Sur la ligne 4, les stations Mouton-Duvernet et Morlan rendent hommage à deux militaires pleinement engagés dans les campagnes napoléoniennes. Régis Barthélemy Mouton-Duvernet (1770 – 1816) se distingua à Arcole lors de la campagne d’Italie tandis que François-Louis de Morlan dit Morland (1771 – 1805) mourut des suites de ses blessures mortelles à la bataille d’Austerlitz. Son nom figure aujourd’hui sur l’Arc de Triomphe.

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L'édicule d'Hector Guimard de la station Mouton-Duvernet à Paris.

Certaines stations du métro parisien n’honorent pas le souvenir de grands personnages mais ceux de lieux mémorables. Ainsi en est-il de la station Louvre-Rivoli, ligne 1, qui dessert le palais côté de la rue de Rivoli, baptisée en l’honneur de la victoire de Napoléon Bonaparte sur l’Autriche le 14 janvier 1797. De la même manière, la station Campo-Formio de la ligne 5, célèbre le traité signé le 18 octobre 1797 dans la ville éponyme de Vénétie. Ce traité clôturait une première fois la guerre franco-autrichienne et permettait à la France d’obtenir de l’Autriche la Belgique, une partie de la rive gauche du Rhin, les îles Ioniennes et la reconnaissance de la République Cisalpine.

Ligne 7 et 14, c’est aux lieux mythiques de la campagne d’Égypte que renvoie la station Pyramides. Avec ce sens inné de la propagande qui le caractérisa toujours, Napoléon baptisa du nom de « Bataille des Pyramides » la bataille du 21 juillet 1798 qui l’opposa aux forces mamelouks. Un nom bien romantique puisque le champ de bataille n’avait en commun avec les vénérables monuments millénaires que d’être extrêmement poussiéreux. 

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Station de métro Pyramides, exceptionnellement décorée à l'occasion du 1er avril 2019.

La station Simplon ligne 4 nous transporte quant à elle bien loin de l’animation parisienne pour nous rappeler le calme et l’air vivifiant des Alpes suisses, où Napoléon fit construire dans le col de Simplon d’abord une route puis un hospice dont la première pierre fut posée en 1813. 

Des noms de militaires glorieux marquent encore les stations Pelleport (ligne 3 bis), Pernety (ligne 13) ou Lecourbe (ligne 6). Le général d’Empire Pierre de Pelleport (1773 – 1855) fut de la première promotion de la Légion d’honneur et participa dans la Grande Armée à la campagne d’Autriche, d’Allemagne et de Pologne, respectivement en 1805, 1806 et 1807. 

Joseph Marie de Pernety (1766 – 1856) fut admiré pour sa bravoure durant la campagne d’Italie, fut de toutes les grandes batailles napoléoniennes et le maréchal d’Empire Masséna ne manqua pas de le complimenter publiquement lors de la bataille de Wagram. 

Claude Lecourbe (1759 – 1815) se distingua également avec talent, mais pas suffisamment pour faire oublier son amitié avec Jean Victor Marie Moreau (1763 – 1813), accusé de conspirer avec son épouse contre la montée au pouvoir de Bonaparte. Lecourbe qui eut le courage (ou la bêtise) de prendre position pour son ami fut exilé dans le Jura. Lorsque vint le tour pour Napoléon Ier de goûter à l’amertume de l’exil, il se souvint de Lecourbe « Très brave, il eut été un excellent Maréchal de France ; il avait reçu de la nature toutes les qualités nécessaires pour être un excellent général. »

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Buste en plâtre présumé d'Armand de Caulaincourt en uniforme de général de division, grand aigle de la Légion d’honneur. Daté de 1813 et signé F.P. GOBLET. École française du XIXe siècle. Provenance: - Collection du Maréchal Soult - Château de Montchevreuil, collection de la marquise de Balleroy © Osenat

N’oublions pas Armand Augustin Louis, cinquième marquis de Caulaincourt (1773 – 1827) qui baptisa, ligne 12, la moitié du nom d’une station, partageant l’autre moitié avec le fameux naturaliste français Jean-Baptiste Lamarck (1744 – 1829). Si les deux hommes se sont un jour rencontrés, croisés peut-être, ils étaient sans doute loin d’imaginer qu’à peine un siècle plus tard ils tâteraient de la délicieuse promiscuité des métros parisiens. Caulaincourt eut néanmoins l’occasion sa vie durant de goûter le grand air puisqu’il fut ambassadeur de Russie à une époque où le voyage était malaisé. Lors du retour de la campagne de Russie, il fut d’ailleurs le confident de traineau de Bonaparte, aventure de 14 jours et 14 nuits dont naquit son fameux récit En traineau avec l’Empereur. Son habileté dans l’art de la diplomatie lui permit d’obtenir la confiance de l’Empereur Napoléon Ier en même temps que celle du tsar Alexandre Ier. Cet esprit fin, « homme de cœur et de droiture » d’après Bonaparte lui-même, avait-il de l’humour ? Pas autant sans doute que Victor Faÿ de Latour-Maubourg (1768 – 1850) dont le nom orne une station de la ligne 8. Mousquetaire à 14 ans, commandant du premier corps de cavalerie à 45, il eut sa cuisse arrachée par un boulet de canon lors de la bataille de Leipzig en octobre 1813. Son domestique plus sensible aux pertes physiques que ne l’était vraisemblablement son maître, pleura à chaudes larmes la jambe disparue quand Latour-Maubourg, qui connaissait sans doute les vertus du positivisme, adressa à son valet une remarque restée célèbre :

Console-toi mon ami, le mal n’est pas si grand pour toi… Après tout tu n’auras plus qu’une botte à cirer !

Les savants au service de l’Empereur

On sait Bonaparte méfiant des médecins, allant même jusqu’à douter – un peu par provocation – de l’utilité de la médecine. Sur la ligne 6 du métro parisien pourtant, une station porte le nom de celui qui parvint à convaincre le Premier consul puis l’Empereur de l’utilité de cette discipline. La station Corvisart rend ainsi hommage à Jean-Nicolas Corvisart (1755 – 1821), brillant médecin au caractère réfléchi qui fit la rencontre de Napoléon en juillet 1801 avant de rapidement devenir son médecin personnel. Une fois l’Empire instauré, le médecin ne fut plus seulement chargé de veiller à la santé de la famille impériale mais également d’autres missions ayant trait à la gestion des épidémies et des maladies contagieuses. L’homme par ailleurs goûtait peu les ors de la cour et  tenait à son autonomie, raison pour laquelle il refusa un logement aux Tuileries. Son efficacité, son objectivité et sa volonté de soigner au mieux surpassaient son respect de l’étiquette, lui qui n’hésita jamais à rabrouer fermement l’Empereur qui ne respectait pas assez sérieusement ses prescriptions. À l’inverse, la boulimie de pilules de Joséphine l’engagea à lui administrer régulièrement des placebo afin de calmer ses angoisses sans mettre sa santé en danger. Fidèle à l’Empereur comme un médecin de famille à ses patients de toujours, Corvisart accompagna Bonaparte sur plusieurs campagnes et redevint son médecin personnel pendant les Cent-Jours mais son âge le contraignit à cesser d’exercer après Waterloo. Il fut malgré tout l’un des derniers à saluer l’Empereur avant son départ pour Rochefort. L’homme avait réussi là où sa discipline avait échouée, du dire même de Napoléon qui déclara : « Je ne crois pas en la médecine, mais je crois en Corvisart. »

Gaspard Monge (1746 – 1818) se rencontre quant à lui ligne 7. Ce scientifique de renom marqua l’histoire des mathématiques s’intéressant à la géométrie, l’analyse infinitésimale et la géométrie analytique. Également professeur de physique et de topographie, Monge fut de ces savants qui produisirent une œuvre foisonnante, importante et tout à fait originale. Ses travaux concernant les fortifications sont depuis connus sous le nom de géométrie descriptive. Nommé Ministre de la Marine pendant la Révolution, ses connaissances et sa science concernant les armes de guerres étaient immenses. Passées les affres de la Révolution, il devint professeur à l’École normale supérieure et bientôt un des fondateurs de l’École Polytechnique. En mai 1796, il fut nommé membre de la commission chargée de se rendre en Italie pour récupérer « les monuments d’art et de science que les traités de paix accordent aux armées françaises victorieuses ». À cette occasion il fit la connaissance de Bonaparte, alors général. Les deux hommes s’apprécièrent et sympathisèrent jusqu’à devenir des amis proches. Monge fut d’ailleurs invité au sacre de Napoléon Ier à Notre-Dame et l’exil à Sainte-Hélène n’empêcha pas Bonaparte de se souvenir de manière élogieuse de son ami qui ne fut pas moins admiré par Joséphine. Cet homme de science aux travaux considérables fut d’abord inhumé au cimetière du Père-Lachaise avant que ses cendres ne soient transportées au Panthéon.

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Édicule particulier de la station de métro Monge à Paris (rue de Navarre).

Enfin, ligne 5, arrêtons nous à la station Breguet-Sabin, non pas pour rendre hommage à la ponctualité des métros parisiens, mais bien à celui qui permit qu’on la remarque : l’horloger et physicien Abraham-Louis Breguet (1747 – 1823). Célèbre inventeur des montres à remontoir automatique, on lui doit le perfectionnement des montres perpétuelles qui profitaient des mouvements de la marche à pied pour se remonter sans aucune manipulation. Napoléon Bonaparte fut l’un de ses plus fidèles clients. Doit-on s’en étonner, lui qui ne supportait pas de perdre son temps, il est bien naturel qu’il apprécia les instruments capables de le mesurer. En 1798, avant le départ du général pour la campagne d’Égypte, il fit l’acquisition d’une montre à répétition, d’une pendulette de voyage et d’une montre perpétuelle. Réputées pour leur fiabilité, leur solidité et leur raffinement, les montres d’Abraham-Louis Breguet avaient de quoi séduire le jeune général alors en pleine ascension politique et sociale. Une fois Premier consul puis Empereur, Napoléon amena à l’horloger une clientèle huppée et riche qui fit sa fortune. Breguet fabriqua notamment en 1810 la première montre bracelet qui fut vendue en 1812 à Caroline Murat, sœur de l’Empereur et reine consort de Naples.

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Avec un peu plus de 300 stations, le métro dessert Paris et son agglomération au fil de l’histoire de la France. De l’Antiquité à nos jours, les noms des stations témoignent des échanges, des conflits, des découvertes, de la culture et bien sûr des grands personnages qui marquèrent la personnalité de la nation. Si l’emplacement des stations répondaient souvent aux rues qu’elles desservaient en surface, il n’en reste pas moins que l’histoire napoléonienne, des campagnes d’Italie à l’Empire, imprima considérablement ses grands noms dans la géographie de la capitale. On notera l’absence de station Napoléon Bonaparte comme sont absents nombre de chefs d’État français. Le roi Philippe Auguste, Clémenceau ou Mitterrand (en lien avec la bibliothèque éponyme) reçurent cet honneur mais le métro parisien semble avoir la préférence pour des personnages qui accompagnèrent l’Histoire, une manière de garder le souvenir vivant et quotidien, tout en parcourant Paris et ses alentours. 


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Napoléon et Joséphine : un couple ordinaire

Le couple mythique formé par Napoléon et Joséphine éveille aujourd’hui encore la curiosité tant ces deux caractères semblent opposés en tous points. Ce couple qui mêla d’abord le feu et la glace n’eut pourtant d’inconcevable que d’être étrangement ordinaire… à nos yeux contemporains. Histoire d’un couple moderne avant l’heure.

Un couple que tout oppose

Joséphine de Beauharnais (1763 – 1814) rencontra pour la première fois Napoléon (1769 – 1821) en 1795. Elle règnait alors sur le Directoire aux côtés d’autres femmes jeunes et élégantes – telle que la piquante Madame Tallien – dont elle se distinguait en étant de loin leur aînée. Joséphine était âgée de 32 ans, veuve et mère de deux enfants. Sa noblesse était, au mieux, insignifiante, et ses dettes jouissaient d’un bien plus grand prestige que son nom. Auprès de Napoléon, elle se prétendit riche et il succomba un temps aux charmes de cette aristocratie déliquescente ; pas assez cependant pour ne pas faire vérifier le réel état des finances de sa dulcinée. Mais qu’importe, ce jeune homme à qui Paul Barras (1755 – 1829) promettait un grand avenir, devait bien reconnaître que le mariage lui serait financièrement plus favorable qu’à elle : le 8 mars 1796, le contrat de mariage établit en effet que Joséphine apportait au ménage sa rente annuelle de 25000 francs tandis que le Corse ne constituait pour le moment qu’une maigre pension de 1500 francs en cas de veuvage… 

Napoléon fut amoureux fou de sa Joséphine, il ne supporta d’ailleurs plus l’idée d’épouser une autre femme qu’elle. Cet état d’esprit ne fut malheureusement pas partagé par l’élégante. Son cœur ne chavira pas pour cet homme qui n’était ni de son genre ni de son esprit. Ce qui la décida fut précisément ce qui, dès le début, les sépara : pour elle, le mariage était – comme sous l’Ancien Régime – une affaire de convenances et d’intérêts mêlés, mais en aucun cas une affaire de sentiments ! Napoléon, quant à lui, n’avait que faire de cette séparation d’apparences et aspirait à un mariage reposant sur un amour partagé, une idée bien moderne dans cette haute société où prévalait toujours les codes d’une aristocratie à peine ensommeillée. Lorsque Joséphine consentit enfin à ce mariage, ce fut avant tout dans le but de préserver son existence mondaine et la sécurité de ses enfants. Ce glorieux général lui apportait contenance et sécurité à une époque où la Terreur hantait encore tous les esprits. Elle pensait par ce mariage conserver les frivolités et les mondanités, les galanteries passagères et s’assurer la sécurité du foyer. Lui, s’imaginait mari comblé et aimé d’une épouse qui prendrait soin d’entretenir un foyer respectable et heureux. Deux mondes s’opposaient sans que l’un ne le devine chez l’autre.

Leur correspondance respective est en ce cas éloquente. Lorsque Napoléon s’émeut « Je me réveille plein de toi », Joséphine se plaint à l’une de ses amies « Je me trouve dans un état de tiédeur qui me déplaît et que les dévots trouvent plus fâcheux que tout ». Sûrement, l’expérience de Joséphine sur le terrain de la galanterie ne laissa rien voir de cette tiédeur à son mari. Pourtant, une fois celui-ci partit en Italie, l’indifférence non dissimulée de Madame Bonaparte face aux suppliques du général marqua les esprits parisiens. Les lettres d’Italie ne tarissaient jamais  et arrivaient presque chaque jour tandis que les réponses étaient rares et capricieuses. Éploré, esseulé, à peine consolé par ses victoires, comment ne pas sentir toute la douleur et le désespoir du général lorsque, impatient de retrouver (enfin !) sa Joséphine à Milan, il trouva le palais vide, la belle s’étant éclipsée pour profiter des plaisirs de la société génoise. Dans une lettre déchirante, on lit la résignation du général amoureux :

J’arrive à Milan, je me précipite dans ton appartement, j’ai tout quitté pour te voir, te presser dans mes bras ; … tu n’y étais pas : tu cours les villes avec des fêtes ; tu t’éloignes de moi lorsque j’arrive, tu ne te soucies plus de ton cher Napoléon. Un caprice te l’a fait aimer, l’inconstance te le rend indifférent.

Accoutumé aux dangers, je sais le remède aux ennuis et aux maux de la vie. Le malheur que j’éprouve est incalculable ; j’avais le droit de n’y pas compter.

Je serai ici jusqu’au 9 dans la journée. Ne te dérange pas ; cours les plaisirs ; le bonheur est fait pour toi. Le monde entier est trop heureux s’il peut te plaire, et ton mari seul est bien, bien malheureux.

L’image du conquérant intransigeant et stratège que l’Europe découvrait alors est ici bien lointaine… 

Le fossé se creusa entre les deux époux malgré la persévérance d’un Napoléon qui souffrait à reconnaître qu’il n’était pas aimé de sa femme. Au retour de la campagne d’Égypte, la menace du divorce plana sur le jeune couple et Joséphine mesura avec horreur les dégâts qu’elle avait commis. Si la situation n’avait rien de commun en ce jeune XIXe siècle, qu’a-t-elle d’originale à nos yeux contemporains ?

L’entente bourgeoise

Par un ironique retournement de situation dont la vie a le secret, c’est Joséphine qui craindra désormais que Bonaparte ne la quitte. Ce dernier, ayant perdu toutes illusions concernant les sentiments de son épouse à son égard, se détacha peu à peu d’elle sans pour autant jamais lui retirer l’affection – toujours grande – qu’il eut pour elle. S’il ne pouvait exiger un amour réciproque, il entendait néanmoins maintenir la tranquillité et la respectabilité de sa maison. Des exigences on ne peut plus bourgeoises pour un homme bientôt élevé à la dignité impériale. L’entourage du couple témoigna avec étonnement de cette vie de famille bien éloignée des mœurs royales de ses prédécesseurs et auxquelles on était depuis toujours habitué : « L’Empereur était en effet un des meilleurs maris que j’ai jamais connu » témoigne Mademoiselle Avrillion (1774 – 1853), première femme de chambre de l’impératrice. Elle poursuit « lorsque l’impératrice était incommodée, il passait auprès d’elle tout le temps qu’il lui était possible de dérober aux affaires […] Il avait pour elle une tendre amitié ». Le témoignage de Louis Constant (1778 – 1845), premier valet de chambre de l’Empereur, n’est pas moins inattendu « Combien fut touchant l’accord de ce ménage impérial ! Plein d’attention, d’égards, d’abandon pour Joséphine, l’Empereur se plaisait à l’embrasser au cou, à la figure, en lui donnant des tapes et l’appelant « ma grosse bête ». Et la « grosse bête » d’impératrice aimait à faire la lecture le soir à son empereur de mari !

Si la question de l’héritier était épineuse, celle des enfants de Joséphine ne l’était pas et, comme dans une famille recomposée aujourd’hui, Napoléon Ier choyait tendrement les enfants de sa femme. Hortense et Eugène furent sans cesse au centre de ses préoccupations et Bonaparte ne renia pas ce surnom d’oncle « Bibiche » dont l’affubla le fils d’Hortense. Ces enfants auraient-ils pu connaître meilleur beau-père ? 

Comme dans tous les ménages modernes, les disputes étaient pourtant inévitables. Et si Napoléon Bonaparte imposait sa volonté à l’Europe il y parvenait difficilement dans son propre foyer ! Joséphine dépensait sans compter, et lorsque son mari comblait enfin ses dettes elle avait déjà eut tout le loisir d’en creuser de nouvelles. Lui, attaché à l’ordre et à la régularité, parvenant par son génie à gagner de grandes batailles à travers tout le continent, échoua systématiquement à contraindre Joséphine au respect de ses budgets. 

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Napoléon et Joséphine peints par Harold Hume Piffard (1867 - 1938). Collection privée

Les préoccupations domestiques du couple impérial étaient-elles si différentes des préoccupations bourgeoises de la même époque ? Si ce n’est l’envergure de la demeure et des dépenses, sont-elles même encore différentes des nôtres ? 

Pour s’en convaincre, ajoutons que les animaux de compagnie n’échappaient pas à cette vie bourgeoise. Car la question se posa : qui sortira le chien ? Non pas pour sa promenade quotidienne comme on pourrait le penser mais bien du lit de Joséphine. Désignant un molosse frisottant (un caniche prénommé Fortuné), Napoléon dit à son ami Antoine-Vincent Arnault (1766 – 1834) « Vous voyez bien ce monsieur-là, c’est mon rival. Il était en possession du lit de Madame quand je l’épousai. Je voulus l’en faire sortir : prétention inutile, on me déclara qu’il fallait se résoudre à coucher ailleurs ou consentir au partage. » Napoléon sachant le chien indétrônable (une ironie désagréable pour celui qui s’intronisa lui-même) mais pas éternel, il prit son mal en patience et la minute suivant le trépas de Fortuné, il défendit fermement qu’un remplaçant soit désigné. Peine perdue car Joséphine passa rapidement outre l’interdiction de son époux et fit l’acquisition d’un carlin. Furieux, l’Empereur encouragea alors vivement son cuisinier à acquérir un grand dogue terrifiant (et sûrement affamé) dans l’espoir que ce dernier ferait son repas de l’indésirable toutou. 

Tromperies et divorce

Joséphine au début de leur relation et durant leurs premières années de mariage trompa Napoléon avec une désinvolture qui marqua les esprits, au point que Barras lui recommanda la prudence dans ses relations avec Charles Hippolyte (1773 – 1837). Puis, c’est elle qui eut à craindre les tromperies de son mari. Un pressentiment l’inquiéta avec raison lors du séjour, en 1807, de Bonaparte en Pologne. L’Empereur et Madame Walewska (1786 – 1817) tombèrent sincèrement et durablement amoureux et leur idylle donna naissance au premier fils de l’Empereur en 1810, prouvant indirectement l’incapacité de Joséphine à lui donner un héritier et entraînant, à regret, le déclenchement de la procédure de divorce. L’Empereur ne fut donc pas non plus fidèle à Joséphine mais il prit tous les soins pour que sa femme ignore tout de ses liaisons. Une attitude bien éloignée des grands d’Europe qui entretenaient et laissaient parfois s’écharper épouses et maîtresses officielles. Toujours Bonaparte voulut que son entourage et sa famille soient heureux et tranquilles, une préoccupation encore toute empreinte d’un esprit bourgeois.

Dans cette nouvelle société oscillant entre les mœurs de l’Ancien Régime et une modernité post-révolutionnaire, Napoléon et Joséphine formèrent un couple finalement uni qui su dominer les scènes militaire, politique et mondaine chacun par leur talent : lorsque lui « gagne des batailles, Joséphine gagne les cœurs ».

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Lettre de Joséphine acceptant la dissolution de son mariage. © Photo RMN-Grand Palais - Bulloz

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Bien après leur divorce, les relations entre Napoléon et Joséphine demeurèrent empreintes de tendresse et d’amitié sincère. Les visites de Bonaparte à Joséphine à la Malmaison étaient fréquentes. Il veilla toujours à ce qu’elle ne manque de rien (malgré sa mauvaise manie d’entretenir des dettes) et lui conserva son titre d’Impératrice malgré leur divorce. Elle s’inquiéta toujours de lui, chercha et facilita son mariage avec Marie-Louise d’Autriche (1791 – 1847) et félicita sincèrement son ex-mari à la naissance du Roi de Rome. Toute sa vie et encore à Sainte-Hélène, l’Empereur évoquera avec émotion ses souvenirs de Joséphine. 

Si l’histoire s’intéressa peu au second mariage de Napoléon, cela tient sans doute à cette singulière relation qui au XIXe siècle fut certainement aussi insolite qu’elle semble, à nos yeux contemporains, étrangement ordinaire…


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Les visages de Napoléon Bonaparte

Il fut le chef d’État post-révolutionnaire le plus portraituré et les images de sa personne firent l’objet d’un commerce enlevé jusqu’à la fin du XIXe siècle. Pendant près de cent ans, Napoléon Bonaparte fut immortalisé par ses partisans comme par ses plus farouches opposants. Il est pourtant bien difficile de se faire une idée précise du visage de cet homme qui travailla toute sa vie à la construction de son propre mythe.

Les portraits du jeune général de l'armée d'Italie

En mars 1796, le général Bonaparte, fraîchement marié, partit pour la campagne d’Italie où rapidement les victoires furent nombreuses et foudroyantes. Son nom jusque là peu connu devint synonyme de gloire. Les gazettes militaires ne tarissaient pas d’éloges sur le jeune général ; et pour cause, Bonaparte les tenait sous sa coupe en ayant confié leur rédaction à des hommes qui lui étaient dévoués. La propagande écrite dressait alors le portrait d’un général héroïque et les images imprimées donnaient forme à ce Napoléon dont la destinée n’était pas due à sa naissance mais bien à ses vertus exceptionnelles. Déjà, l’emprunt aux mythes des héros antiques berçaient le peuple français de rêves glorieux incarnés par une figure qui deviendrait bientôt celle d’un demi-dieu. L’instabilité du Directoire, le choc de la Terreur et les sentiments anticléricaux virulents sous la période révolutionnaire attisaient le désir de voir émerger une figure protectrice capable de redonner à la France son envergure et son prestige. Le jeune général allait se donner littéralement les traits de cette ambition.

Les premiers portraits de Napoléon sont réalisés dans ce contexte de la campagne d’Italie. Aucun portrait officiel d’avant 1795 ne nous est aujourd’hui connu. Le plus ancien est celui tracé au crayon et rehaussé d’aquarelle signé du dessinateur et graveur Giuseppe Longhi (1766 – 1831) et daté de 1796. Le plus ressemblant est celui peint en 1796 – 1797 par le général Bacler d’Albe (1761 – 1824), un des plus anciens compagnons du futur empereur qui possédait l’avantage d’une bonne connaissance du caractère de son camarade. Puis vient un des plus fameux, celui de Jean-Antoine Gros (1771 – 1835) : Bonaparte idéalisé au pont d’Arcole, le visage tourné vers son armée et portant en avant le drapeau français. Déjà, le peintre se plaignait que son modèle n’accordait que quelques instants de pose, reconnaissant qu’il devait se résigner « à ne peindre que le caractère de sa physionomie, et après cela, de [son] mieux à y donner la tournure d’un portrait ». Andrea Appiani (1754 – 1817) réalisa quant à lui le portrait en pied du général peu après la victoire de Lodi (1796), portrait qui connut une grande fortune dans sa version gravée.

Ces artistes posèrent les traits qui définirent le général Bonaparte pendant quelques années : un visage acéré encadré de cheveux fins et longs, un regard aiguisé au dessus d’un nez aquilin et d’un menton proéminent. 

Napoléon Bonaparte ne négligea pas de mettre en scène sa propre épopée. À son retour d’Italie, les grandes batailles qu’il avait remportées étaient déjà immortalisées ou en passe de l’être. En 1797, Jacques-Louis David (1748 – 1825), chef de file des peintres néoclassiques, ne s’y trompa pas en s’exclamant à propos de son futur modèle « Oh mes amis, quelle belle tête il a ! C’est pur, c’est grand, c’est beau comme l’Antique ! ». Le général ne le contredirait pas, entendant bien accéder à cette grandeur héroïque en faisant apparaître sa personne comme la fusion des visages mythiques les plus célèbres.

Jacques-Olivier Boudon (1962 – ) nous les décrit dans Grand homme ou demi-dieu ? La mise en place d’une religion napoléonienne (In: Romantisme, 1998, n°100. Le Grand Homme. pp. 131-141) :

[…] tantôt Héraclès lorsqu’il s’attache aux nombreux travaux laissés en suspens par la Révolution, tantôt Alexandre lorsqu’il part à la conquête du monde [l’Italie, l’Égypte], tantôt Hannibal lorsqu’il passe les cols des Alpes pour envahir l’Italie. Il n’est pas loin de ressembler à César quand il franchit, le 18 Brumaire, les limites de la légalité pour « sauver la République », César encore quand, en 1814, il est trahi par ses proches notamment Murat, et par le Sénat. Il est également Alcibiade, rappelé de son exil en 1815 pour régler les difficultés de la France, ou Solon, s’appliquant à doter le pays d’institutions civiles et judiciaires solides et stables.

Homme d’action serein et réfléchi face à la dangerosité de la situation ou des éléments, il est aussi le héros conscient de son devoir, vertueux et téméraire dans les œuvres de Gros ou de David. Ses traits idéalisés souligne un visage marmoréen augurant un avenir glorieux et tragique comme le sont les vies héroïques. 

Portrait de Napoléon Bonaparte de Jacques-Louis DAVID (1748 – 1825)
Portrait de Napoléon Bonaparte de Jacques-Louis DAVID (1748 – 1825)

Lorsqu’il devint Premier Consul à la fin de l’année 1799, le jeune héros courageux céda un temps la place au chef d’État sage et magnanime. Les cheveux étaient désormais portés courts et la posture changea ; celle consistant à contrôler étroitement l’image de propagande de Bonaparte demeura elle solidement ancrée. Les peintres devaient rendre l’attitude d’un législateur pondéré et bienveillant, en cela, Antoine-Jean Gros remporta encore tous les lauriers. Dans son portrait en pied, Bonaparte désigne de sa main les nombreux traités qu’il engage au cours de sa politique, son regard se porte au loin, comme imprégné de sa destinée et de celle de son pays. L’habit rouge rappelle la couleur du pouvoir romain. La toile fut reproduite à plusieurs exemplaires tant elle plut au Premier Consul.

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Bonaparte premier Consul. Huile sur toile peinte en 1802 par Antoine-Jean Gros (1771 - 1835) et aujourd'hui conservée au Musée de la Légion d'Honneur à Paris.

Jacques-Louis David proposa également un portrait sur ce thème dont un détail emblématique est toujours aujourd’hui maladroitement compris : Napoléon Bonaparte portant sa main dans son gilet. Il ne s’agit pas de soulager d’éventuelles douleurs à l’estomac mais plutôt d’imiter la posture emblématique du philosophe grec Eschine (Ve siècle avant J.C) – qui certainement ne fut pas épargné par quelques dérangements stomacales, mais dont on préféra retenir l’attitude de pondération qui émane toujours la sculpture le figurant (Musée archéologique national de Naples). L’attitude n’était pas nouvelle car nombreux furent ceux à en tirer parti sans pour autant en gagner les vertus. Cette posture devenue emblématique a fini aujourd’hui par se confondre avec le personnage même de Napoléon Ier, une preuve supplémentaire de l’attention portée à la construction d’un mythe, du vivant même de Bonaparte.

Le portrait de l’Empereur

Le Sacre du 2 décembre 1804 marque le temps fort de l’épopée napoléonienne. Il cristallise l’image de Bonaparte comme l’aboutissement d’un destin héroïque et comme l’avènement d’une ère nouvelle, d’une France nouvelle, qui coïncident avec un siècle nouveau. À l’époque, l’évènement est ressenti et exploité comme tel par le pouvoir. Balzac en témoigne lorsqu’il écrit que l’empire sert de préface au siècle. Désormais, l’Empereur est comparable à Auguste ou Charlemagne dont il se veut l’héritier, ce que traduit parfaitement le Napoléon Ier sur le trône impérial peint par Ingres en 1806.

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Napoléon Ier sur le trône impérial en costume de sacre peint par Jean-Auguste Dominique INGRES (1780 - 1867) en 1806. Aujourd’hui conservé au Musée de l’Armée. © Cairn

Aux dires de ses contemporains, il s’agit là d’un des portraits les moins ressemblants tant il est idéalisé ; l’œuvre n’eut pas les faveurs du pouvoir qui lui préféra celle peinte par David où Napoléon apparait en majesté, couronnant son épouse après s’être lui-même couronné, accaparant les pouvoirs d’un Pape relégué à un rôle secondaire. La force des images du sacre transcende les pouvoirs de ce Bonaparte qui de général héroïque s’est élevé par la seule force de ses qualités au rang de demi-dieu.

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Le Sacre de Napoléon. Huile sur toile peinte entre 1805 et 1807 par Jacques-Louis David (1748 - 1825) et exposée aujourd’hui au Musée du Louvre

L’assimilation de la figure divine à la figure impériale n’a rien de fortuit et couronne une stratégie de propagande menée avec brio par ce jeune Corse sans naissance. Le culte impérial va contribuer à enrichir cette synthèse mêlant à l’image de l’Empereur une image quasi-divine en s’appuyant toujours sur des textes. Après avoir signé le Concordat en 1801 et rétabli le calendrier grégorien en 1806, un catéchisme impérial voit le jour la même année. Sa connaissance est indispensable pour accomplir sa première communion et engage « à communier en un même mouvement dans l’amour de Dieu et le respect de l’Empereur. » (Jacques-Olivier Boudon, ibid). Dès lors, l’image de l’empereur rejoint celles de l’Ancien Régime, en les surpassant toutefois car sa dignité et la valeur de demi-dieu qui lui sont prêtées ne sont dues qu’à sa seule volonté et non à sa naissance. Le héros antique transcende ici la figure historique et permet à Napoléon d’accéder au rang de figure mythologique, presque immortelle. 

Napoléon Ier représenté en Roi d’Italie. Huile sur toile peinte par Andrea Appiani (1754 - 1817) circa 1805. Exposée au Trésor de la Hofburg, Vienne (Autriche)
Napoléon Ier représenté en Roi d’Italie. Huile sur toile peinte par Andrea Appiani (1754 - 1817) circa 1805. Exposée au Trésor de la Hofburg, Vienne (Autriche)

Chaque image sert une propagande réfléchie. Les gravures circulent partout en France et pour une somme modique, on peut acquérir l’image de l’empereur. Sur les médailles ou la monnaie, le visage de Bonaparte est partout présentant son profil couronné de lauriers à l’image des empereurs romains. Tout au long de son règne, il est l’homme d’État providentiel par excellence et beaucoup plus rarement un homme ordinaire dont on voit la physionomie évoluer au fur et à mesure qu’il vieillit.  

Les rares portraits de l’exil à Sainte-Hélène

Lorsque l’exil sur l’île de Sainte-Hélène débuta en octobre 1815, Bonaparte était alors un homme fatigué, seulement âgé de 46 ans. La maladie dont il souffrira jusqu’à sa mort s’était déjà déclarée et le fit souffrir de plus en plus régulièrement. Aucun artiste officiel ne l’accompagna dans cet retrait forcé mais ses proches et quelques résidents de l’île le dessinèrent parfois. Ces croquis qui n’étaient plus soumis au strict regard de la propagande d’Empire apparaissent aujourd’hui comme les derniers témoignages, intimes et touchants, d’un homme qui pourtant continua à attiser et à entretenir sa propre légende.

Son masque mortuaire est aujourd’hui le dernier visage, sans fard ni idéalisation que l’on possède du célèbre empereur. Le patient travail de propagande mené par Napoléon sur sa propre image n’a pas pris une ride. Toujours certains traits caractéristiques dessinent sans équivoque la figure unique de cet homme dans les arts, les romans ou le cinéma. Sans que l’on puisse connaître véritablement les traits de sa physionomie, son mythe s’est imposé à tous.

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Chacun conçoit parfaitement sa figure sans pour autant l’avoir jamais réellement connue. Cette approche visionnaire et cette conscience parfaite du pouvoir de l’image, du texte et de la propagande sont parvenues à hisser ce stratège de génie au rang de grand homme, sinon d’immortel. 

Masque mortuaire de Napoléon, Musée de l’Armée, Paris
Masque mortuaire de Napoléon, Musée de l’Armée, Paris

Néanmoins, notons qu’il subsiste pourtant les traits de l’Empereur immiscés dans le portrait photographié de son fils illégitime avec Marie Walewska (1786 – 1818). Né en 1810, Alexandre Walewska fut de l’avis de ceux qui le connurent, un portrait frappant de son illustre père. Chacun y devinera les traits que notre inconscient collectif prête depuis près de 200 ans à l’une des figures les plus emblématiques de l’histoire de France. 

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Photographie d’Alexandre Walewska (1810 - 1868) - parfois orthographié Walewski

Tombeau de Napoléon Ier aux Invalides, Paris.

La mort de Napoléon Bonaparte à Sainte-Hélène : un si grand mystère ?

Lorsque Napoléon meure à Sainte-Hélène, la question des causes de sa mort devient rapidement sujet à débats. Cancer ? Poison ? Les passions s’échauffent à ces seules évocations, car même après sa mort, Bonaparte maîtrise l’art d’alimenter sa propre légende. En effet, qui ne serait tenté d’imaginer une fin romanesque à la hauteur de ce personnage hors-norme ? 

Napoléon Bonaparte meurt à Sainte-Hélène

Le 5 mai 1821 à 17h49 s’éteint à 51 ans celui qui domina un temps presque toute l’Europe. Suscitant autant l’admiration, la crainte que la haine (Tolstoï, Germaine de Staël ou Chateaubriand nous en laissèrent de vifs souvenirs), l’Empereur exilé meurt à la suite de longues souffrances dans sa maison de Longwood. Il part sans même laisser un bon mot à la postérité ; ses dernières paroles sont décevantes car confuses et peu compréhensibles. 

Depuis le mois de mars, Napoléon était alité. Supportant de moins en moins les aliments, il s’affaiblissait rapidement. Persuadé depuis fort longtemps que le mal qui avait emporté son père (un squirre cancéreux au pylore) aurait raison de lui, il refusait la plupart des médicaments prescrits par ses médecins. Pourtant, ces derniers décidèrent le 4 mai de passer outre la volonté pourtant claire de Napoléon Ier et s’accordèrent sur l’administration d’une dose de calomel diluée dans un verre d’eau. Seul le docteur François Antommarchi (1780/89 – 1838) s’opposa farouchement à cette administration, mais perdit la bataille. Louis-Joseph-Narcisse Marchand (1791 – 1876), fidèle compagnon de l’empereur, fut chargé de donner le remède secret, mission dont il s’acquitta d’autant plus honteusement, que Bonaparte, après avoir bu le contenu de son verre, dit « avec un ton de reproche si affectueux […] : « Tu me trompes aussi ? » ». Marchand, qui en fut bouleversé, ne savait que trop bien qu’il manquait à sa promesse de ne rien lui administrer sans sa permission.
La calomel eut assurément un effet, mais pas celui escompté. Et le lendemain, en fin d’après-midi, Napoléon expira. Lorsque minuit fut passé, on déplaça le corps qui fut soigneusement lavé à l’aide de l’eau de Cologne qu’il aimait tant mêlée d’un peu d’eau de la fontaine de Torbett. 

La dernière volonté de l’empereur était d’être inhumé en France, mais le gouvernement anglais s’y opposa fermement par l’intermédiaire du gouverneur de l’île. Ce dernier laissa cependant les proches du défunt choisir librement un lieu de sépulture à Sainte-Hélène.

La tombe - désormais vide - de Napoléon Ier à Sainte-Hélène.
La tombe - désormais vide - de Napoléon Ier à Sainte-Hélène.

Dans les premières années de son exil, Napoléon avait découvert sur l’île la fontaine Torbett et avait recommandé que : « si après [sa] mort, [son] corps reste entre les mains de [ses] ennemis » sa dépouille y soit déposée. Le lieu s’imposa donc de lui-même.
L’artisan tapissier Andrew Darling, chargé de superviser la fabrication des cercueils, note qu’il lui fut spécifié que « les cercueils devaient être le premier en fer blanc, garni de satin rembourré de coton, avec au fond un petit matelas et un oreiller faits des mêmes matières ; le second en bois ; le troisième en plomb ; et enfin un cercueil d’acajou recouvert de velours pourpre, si on pouvait s’en procurer. » L’acajou étant un bois rare, on sacrifia une table de cette essence pour la confection du dernier cercueil. 

Après l’autopsie de Napoléon, deux vases d’argent remplis d’esprit de vin reçurent le cœur et l’estomac. Ces vases hermétiquement fermés furent placés dans le cercueil. On scella de la même manière les cercueils successifs et on fit de la tombe de Napoléon une forteresse imprenable. La fosse fut maçonnée, dallée, le cercueil déposé à nouveau protégé d’une dalle, elle-même coiffée d’une importante épaisseur de terre naturelle. Une autre dalle à la surface indiquait l’emplacement de la tombe.
La plaque qui devait donner l’identité du défunt sur le cercueil resta muette. Car, sans que cela soit une surprise, Français et Anglais ne s’accordèrent jamais sur l’inscription la plus juste capable de désigner l’habitant du tombeau ; chaque nation avait une idée très arrêtée de ce qu’elle entendait par « juste ».

Napoléon prépare sa légende

Bien avant de mourir, et dès qu’il posa le pied à Sainte-Hélène, l’empereur demeura un féroce adversaire des Anglais. La décision de l’isoler au milieu de l’Atlantique ne suffit pas à arrêter Napoléon et les Britanniques eurent encore tout le loisir de le voir s’exercer à saper leur autorité. Emmanuel Las Cases (1766 – 1842) témoigne dans ses Mémoires des trésors d’inventivité dont fit montre Bonaparte pour donner à l’Europe l’image d’une captivité déshonorante et pour faire des Anglais d’affreux personnages, tout à fait dénués d’humanité.

Pourtant la réalité était toute autre et Napoléon était bien traité, malgré quelques chamailleries protocolaires et financières qui mettaient régulièrement Bonaparte dans une colère noire. Celle qui l’agaçait par-dessus tout tenait à ce que les Anglais ne lui accordaient que le titre de général, quand Bonaparte exigeait celui d’empereur, qu’il considérait légitime et de plein droit.

Parmi ses mises en scène les plus fameuses, le Corse fit par exemple vendre son argenterie sur la place de Jamestown pour faire croire qu’il se trouvait aux derniers échelons de la pauvreté. Les marchands de passage revenant des Indes devaient, à leur insu, jouer le rôle de commères en Europe et répandre l’infâme nouvelle. Jean Tulard, historien et spécialiste de Napoléon Ier, rappelle également que Napoléon donna « un rôle odieux à Hudson Lowe (1769 – 1844), qui par ailleurs, n’était pas un monstre de finesse ».

Avant d’embarquer à l’Île d’Aix en juillet 1815 Napoléon Ier avait refusé plusieurs projets d’évasion, « il valait mieux pour sa légende qu’il meure, comme il le dira, assassiné par le gouvernement britannique » rappelle Pierre Branda, historien français spécialiste du Consulat et du Premier Empire. L’homme avait déjà une conscience aiguisée de sa postérité.

De quoi Napoléon Bonaparte est-il mort ?

À moins de profaner le tombeau des Invalides, le saura-t-on jamais avec certitude ? Néanmoins, les nombreux récits de ses proches et des personnes témoins de son enterrement et de ses relations pour le moins conflictuelles avec ses flegmatiques geôliers orientent davantage l’enquête vers une mort de cause pathologique que vers celle d’un perfide empoisonnement. Bien sûr, cette dernière théorie a de quoi séduire ! Un personnage historique de cette envergure peut-il mourir bêtement d’un estomac défaillant ? Il semblerait pourtant que nous devions nous en accommoder.

Masque mortuaire de Napoléon, Musée de l’Armée, Paris
Masque mortuaire de Napoléon, Musée de l’Armée, Paris

D’aucuns brandissent les traces d’arsenic détectées dans ses cheveux mais c’est oublier bien vite qu’il en fut également trouvé dans ceux de Joséphine et de l’Aiglon. C’est ignorer aussi qu’au XIXe siècle, l’arsenic était très répandu dans des usages bien éloignés de l’empoisonnement, à tel point qu’il était souvent rangé dans la cuisine (et servait parfois malencontreusement d’ingrédient criminel à une gastronomie peu recommandable).
Il servait aussi à la fabrication des bougies, des cigarettes, des pigments de peinture (pour l’impression de la tapisserie notamment), de teinture ou encore de cosmétiques. De nombreuses mèches de cheveux de l’impériale tête ont été étudiées. Presque systématiquement, les rapports ont conclu de ces analyses que les doses étaient certes élevées, mais pas dans le contexte du début du XIXe siècle.

Comme la racine des cheveux présentait des traces d’arsenic, certains y virent la preuve que Napoléon avait ingérer le poison par des aliments ou du vin. Cela sous-entend d’abord que l’empoisonneur aurait du faire partie des proches de l’empereur exilé. Ensuite, ce criminel se devait d’avoir une patience à toute épreuve car aucun homme ne risquait de mourir foudroyé en ingurgitant de si faibles doses d’arsenic. Il faut donc en déduire que, dans le cas d’un empoisonnement, il aurait été imaginé un « empoisonnement au long cours ». Hélas pour cette théorie, le « service à la française » régnait à la table de Longwood, les plats étaient donc présentés sur la table et chacun s’y servait selon son goût ou sa faim. Alors, le criminel aurait du accepter de s’empoisonner en empoisonant sa victime ! Comme le résume malicieusement Jean Tulard, soit l’empoisonneur n’était pas doué, soit il a quand même mis beaucoup de temps pour tuer Bonaparte.

Quant est-il du corps que l’on retrouva presque intact en 1840 lors de son rapatriement aux Invalides ? 

Tombeau de Napoléon Ier aux Invalides, Paris.
Tombeau de Napoléon Ier aux Invalides, Paris.

L’arsenic, aussi bien qu’un embaumement, est célèbre pour conserver les corps. Encore une fois, souvenons-nous que Napoléon fut inhumé, non pas dans un, mais bien dans quatre cercueils hermétiquement fermés. Très probablement, un phénomène de saponification (transformation des chairs en adipocire) se trouva favorisé par l’absence d’air et dans ce genre de contexte, la bonne conservation d’un corps est assez souvent constatée.
En aurait-on alors profiter pour échanger le corps du souverain par un autre moins prestigieux ? Et inhumer aux Invalides un cuisinier plutôt qu’un empereur ? Là encore, il n’y a aucune raison de le croire puisque l’exhumation se fit en présence de nombreux témoins qui avaient vu la dépouille 20 ans auparavant. Or aucun ne trouva à y redire et, passée la surprise de cette étonnante conservation,  ils reconnurent sans peine le célèbre défunt.

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La question de la mort de Napoléon Ier déchaîne aujourd’hui les passions et témoigne moins de l’intérêt que suscite l’empereur que de son incroyable talent de communicant. Lui qui avait parfaitement conscience du caractère exceptionnel de sa destinée déclarait « Quel roman que ma vie ! » alors qu’il dictait ses souvenirs à Las Cases.  En effet, la comparaison était appropriée : quels meilleurs romans que ceux dont la fin entretient le mystère ?


Création de la Banque de France par Napoléon : pièce en or frappée sous le Premier Empire et présentant la tête laurée de Napoléon Ier.

Création de la Banque de France par Napoléon Bonaparte

En ce tout jeune XIXe siècle, l’économie moribonde post Révolution engagea le Premier Consul Napoléon Bonaparte à créer la Banque de France le 18 janvier 1800 afin de favoriser la reprise économique du pays. L’économe Napoléon entendait créer une valeur stable et forte au coeur d’une institution qui ne devait pas servir de caisse à l’État mais favoriser ses entreprises.

Un contexte politique et économique houleux

Le XVIIIe siècle ne fut pas bénéfique au papier monnaie. Échaudés par le scandale financier de John Law (1671 – 1729) en 1720, les Français eurent tout le loisir de confirmer leur aversion pour la monnaie imprimée lorsqu’on les berna une seconde fois en brandissant de juteux assignats révolutionnaires qui n’eurent pour autre effet qu’une inflation foudroyante et spectaculaire. Quelques-uns pourtant s’enrichirent. Parmi eux, le financier suisse Jean-Frédéric Perregaux (1744 – 1808). Précédant judicieusement la neutralité perpétuelle qui fera plus tard la fierté de sa Suisse natale, notre Helvète matois, qui frayait avant la Révolution avec les cercles aristocratiques mondains les plus courus, se garda d’afficher trop clairement ses opinions politiques lors du brutal changement de régime. Il préféra, comme beaucoup à cette époque, les adapter aux nécessités du moment.  Bien lui en prit puisque les membres de la noblesse – farouchement attachés à leur tête – ne tardèrent par à fuir à l’étranger en prenant soin d’emporter avec eux une part considérable de la monnaie métallique de feu le royaume de France. Une crise financière frappa ainsi de plein fouet le peuple qui – n’ayant, lui, rien à craindre pour sa tête – avait néanmoins tout à craindre pour ses finances. Dans une conjoncture économique extrêmement défavorable, les faillites furent nombreuses et le commerce intérieur paralysé. Le Directoire s’avéra incapable de remédier au problème de façon pérenne et il fallut attendre le coup d’État de Brumaire (9-10 novembre 1799) pour voir émerger l’espoir d’une stabilité gouvernementale indispensable à un rétablissement économique du pays. C’est alors que notre fringuant banquier suisse se rapprocha de Bonaparte, le contexte et Napoléon lui souriant de concert.

Perregaux et quelques amis banquiers (Le Couteulx, Mallet et Perier) obtinrent d’abord le droit d’imprimer des billets de banque pour leur propre établissement nommé Caisse des Comptes Courants. L’objectif était de collecter l’épargne alors thésaurisée par les particuliers et d’augmenter la quantité de monnaie en circulation. La Banque de France fut créée le 18 janvier 1800 par décret et absorba rapidement la Caisse des Comptes Courants. La toute jeune Banque de France s’installa dès lors dans l’Hôtel de Toulouse, rue de la Vrillière à Paris évidemment.

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Galerie dorée de l'Hôtel de Toulouse, siège de la Banque de France au 1 rue de la Vrillière à Paris © Banque de France

Le premier Consul se voulait prudent et tint à garantir la stabilité et la fiabilité de cette nouvelle institution. Les premières émissions de billets furent donc garanties de trouver leur équivalent en quantité d’or de même valeur à toute personne qui le souhaitait. Il suffisait juste pour procéder à l’échange de se rendre rue de la Vrillière. Il en allait de la réputation de la banque et de son avenir, le premier Consul en avait parfaitement conscience. Les Français qui n’appréciaient rien de moins que de se faire pigeonner trois fois de suite se montrèrent d’abord extrêmement méfiants. Puis petit à petit, la confiance revint. Il faut le dire, l’implication personnelle, sonnante et trébuchante de Bonaparte n’y fut pas étrangère. Il plaça à la Banque une partie de ses fonds propres en gage de confiance et persuada – lourdement – sa famille et ses proches d’en faire autant. L’opération jointe aux capitaux apportés par de riches actionnaires permit de doter l’établissement d’un capital considérable et nécessaire pour asseoir son indispensable sérieux. Bientôt, la Banque de France fut l’unique banque autorisée à émettre des valeurs monétaires d’où son nom de « banque centrale ».

Cette dernière avait pour clients principaux les banques ordinaires dont l’activité consistait à prêter de l’argent aux particuliers et aux entreprises. Le principe s’appuyait donc sur la promesse de remboursement que l’emprunteur remettait à son banquier, promesse désignée sous le terme d’ « effet de commerce ». Parallèlement, les banques ordinaires avaient besoin d’argent pour accorder des prêts à de nouveaux clients. Elles devaient donc posséder suffisamment de réserves financières pour agir sans attendre que les clients emprunteurs ne remboursassent leurs dettes. Les banques ordinaires se tournaient donc vers la Banque de France et lui achetaient des billets en échange des effets de commerce dont elles disposaient. Naturellement, la quantité d’argent s’accrut dans le pays et permit de réveiller le commerce et l’industrie. À leur tour, ces derniers dégagèrent des profits qui ne manquèrent pas d’être imposés. Finalement, la valeur croissante des impôts prélevés par l’État permit au pays de s’enrichir et au premier Consul de financer son armée (et non pas ses campagnes).

Le franc germinal, une valeur économique fiable

Les premiers billets émis par la Banque de France furent d’une valeur telle qu’ils n’étaient pas à la portée de tous. Le billet de 500 francs représentait un peu plus d’une année de salaire d’un ouvrier et celui de 1000 équivalait, c’est bien logique, au double de travail. N’étant pas convertible en or ailleurs qu’à Paris, les billet restreignaient encore davantage le cercle des amateurs de liasses. Ces billets occupaient si bien les seules hautes affaires parisiennes qu’ils eurent dérouté n’importe quel commerçant s’il avait prit à un citoyen de tendre un de ces papiers monnaies pour régler un poulet (pas loin de devenir Marengo).

Billet de 1000 francs germinal édité en 1803
Billet de 1000 francs germinal édité en 1803.

Par ailleurs, le souvenir de John Law et des assignats révolutionnaires restait tenace et les campagnes françaises préférèrent encore, pour leur commerce, les valeurs métalliques. La Révolution, par une loi du 15 août 1795 avait déjà décidé de remplacer la livre tournois par le « franc d’argent » mais sa seule volonté n’y suffit pas. En effet, la fougueuse et première République avait ça de commun avec Joséphine de Beauharnais (1763 – 1814) à la même époque qu’aucune ne disposait de suffisamment d’argent – métallique pour l’une, liquide pour l’autre – pour satisfaire ses besoins. Il fallut donc attendre le 7 germinal an XI (le 28 mars 1803) pour voir ressurgir ce franc qui emprunta à sa date de création le nom sous lequel il exercera jusqu’en 1928 à savoir, le franc « germinal ».

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Fabrication et sécurité des valeurs monétaires

Les deux premiers billets mis en circulation par la Banque de France représentaient des sommes considérables. Dès lors, tout devait être mis en œuvre pour empêcher du mieux possible l’apparition de faux. Le papier d’abord fut produit à la papeterie de Buges dans le Loiret mais on lui préféra rapidement celui de la papeterie du Marais à Jouy-sur-Morin. L’ajout d’un filigrane entre les deux feuilles de papier constituant chaque billet fut une des premières dispositions de sécurité. Puis vint la qualité du dessin pour lequel on fit appel à Charles Percier (1764 – 1838). Cet architecte néoclassique qui s’était distingué dans ses réalisations pour les financiers évoluant aux côtés du Premier Consul ne tarda pas à être chaudement recommandé à ce dernier qui loua longtemps ses talents. La gravure de la matrice fut confiée à Jean-Bertrand Andrieu (1761 – 1822) qui prit pour support une plaque d’acier afin de garantir un encrage toujours égal. Enfin, la gravure typographie revint à Firmin Didot (1764 – 1836) dont le nom est encore aujourd’hui bien connu des amateurs d’estampes et d’éditions anciennes. On ajouta au billet un talon, un timbre sec (gaufrage du papier obtenu à l’aide d’une presse) puis un timbre humide (une technique permettant d’imprimer simultanément au recto et au verso).

Quant à la symbolique des motifs choisis, on retrouve la forte influence de l’Empire romain (teintée du goût néoclassique né des fouilles d’Herculanum de Pompéi au XVIIIe siècle). Compas et équerre évoquent les outils des bâtisseurs usant de géométrie et d’architecture, tandis que le coq emblème de la France côtoie la balance de la Justice. Les divinités représentées sont celles des grands domaines considérés comme constitutifs d’un État fort au XIXe siècle : Vulcain pour l’industrie, Apollon pour les arts, Cérès pour l’agriculture et Poséidon pour l’empire colonial.

Création de la Banque de France par Napoléon : Franc germinal en argent portant le portrait de Napoléon Bonaparte Premier Consul dessiné et gravé par Tiolier. © Monnaie de Paris, Collections historiques
Création de la Banque de France par Napoléon : Franc germinal en argent portant le portrait de Napoléon Bonaparte Premier Consul dessiné et gravé par Tiolier. © Monnaie de Paris, Collections historiques

Les pièces de monnaie métalliques font l’objet des mêmes préoccupations, tant sécuritaires que symboliques. Les motifs républicains furent remplacés à l’avers des pièces par la tête nue de profil de Bonaparte – dont le graveur général Pierre-Joseph Tiolier (1763 – 1819) fit le portrait – accompagnée d’une légende « Bonaparte Premier Consul ». L’envers figurait une couronne d’olivier, la valeur faciale de la pièce et la légende « République française ». Bien sûr, il suffira d’une proclamation impériale pour que les motifs des pièces comme des billets soient modifiés encore une fois.

Création de la Banque de France par Napoléon : pièce en or frappée sous le Premier Empire et présentant la tête laurée de Napoléon Ier.
Création de la Banque de France par Napoléon : pièce en or frappée sous le Premier Empire et présentant la tête laurée de Napoléon Ier.

La création de la Banque de France eut un impact décisif sur l’économie du pays et son expansion impériale (bien qu’elle ne les finança pas, l’Empereur s’en défendit toujours). Le papier-monnaie se perfectionna, gagnant en sécurité et décourageant les faussaires. Pourtant, en 1959, la Banque de France émit un billet de 100 francs figurant Napoléon. Ce billet rendit célèbre le faussaire Czesław Jan Bojarski (1912 – 2003) qui se fit une spécialité de la falsification de ces « billets Bonaparte ». Sa maîtrise dans ce domaine est encore à ce jour incontestée et inégalée. Ces faux sont aujourd’hui de rares et onéreux objets de collection. Une ironie de l’histoire qui n’eut certainement pas échappée à l’Empereur s’il eut été vivant pour l’apprécier.


l'Authentique Eau de Cologne de Napoléon Ier à Sainte-Hélène

Le renouveau de l’Eau de Cologne

Le siècle précédent ne fut pas tendre avec l’eau de Cologne. Raillée par une parfumerie qui ne jurait que par des jus tapageurs, entêtants et sans relief, la discrète eau de Cologne fit preuve de patience jusqu’à retrouver ses lettres de noblesse aujourd’hui. Fragrance d’esthète, elle préfère accompagner la toilette plutôt que s’opposer au parfum.

Une eau moderne

La modernité de l’eau de Cologne réside paradoxalement dans son ancienneté. Depuis près de deux siècles, les salles de bains les plus chics lui attribuèrent une place de choix. La grande distribution, sans parvenir à s’en emparer, abîma aux yeux du grand public l’image élégante de cette eau fraîche. Conçue à partir d’ingrédients naturels, l’eau de Cologne rejoint nos souhaits modernes de revenir à plus de simplicité. Sus aux formules dont les « principes actifs » sont plus incompréhensibles qu’une équation de physique quantique ! Quelques agrumes, des plantes, un soupçon d’épices font la recette simple et pourtant raffinée d’une eau destinée bien plus au bien-être qu’à l’apparence. L’eau de Cologne se revendique d’un plaisir égoïste : elle accompagne la toilette, ce moment qui nous prépare à sortir de notre intimité, à s’aventurer au grand air. Sa fraîcheur solaire éveille les sens et le contact avec l’eau que l’on verse généreusement sur la peau n’est pas loin d’évoquer les jeux régressifs des batailles d’eau.

L’Authentique Eau de Cologne de l’Empereur
L’Authentique Eau de Cologne de l’Empereur Napoléon 1er à Sainte-Hélène

Alors que la parfumerie aime à différencier la femme de l’homme, l’eau de Cologne se moque bien des genres. Établissant la parité avant l’heure, elle nous séduit par ce flegme qui préfère la détente et l’hédonisme à la séduction genrée et calculatrice. Elle plait par sa simplicité qui ne manque pas de caractère, par sa pudeur pourtant espiègle. C’est d’ailleurs cette ingénuité qui permet d’offrir un bouquet de senteurs plein de relief. L’industrie du luxe ne s’y est pas trompée.

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Une eau raffinée

Il n’est plus une maison qui puisse faire l’impasse sur la création de sa propre eau de Cologne. Comme un curieux devient esthète au fur et à mesure qu’il découvre les subtilités d’un art, beaucoup découvrent l’élégance de la Cologne après s’être confrontés à l’impasse existant entre un parfum qui, d’un côté, nécessite d’être apprêté pour être porté et, de l’autre, l’odeur molle et sans charme du savon. N’est pas Marilyn Monroe qui veut et le seul Chanel n°5 ne convient pas à toutes les occasions. En revanche, c’est bien là la première qualité de l’eau de Cologne : sa légèreté et sa simplicité en font la fragrance idéale dans un quotidien où le parfum serait trop prétentieux. Lors de moments de détente, au sortir d’une activité sportive ou simplement par plaisir du contact avec elle, cette eau laisse sur la peau une odeur de propre qui résonne avec légèreté.

Les notes les plus fraîches exhalent lorsque l’on s’en asperge et sa pudeur laisse ce sillage en retrait une fois la toilette terminée. La Cologne n’entend pas parfumer, elle rayonne un instant avec élégance mais connaît la valeur de la discrétion. Napoléon qui s’en aspergeait copieusement ne lui reniait pas cette qualité, lui qui avait en horreur les parfums capiteux. L’eau de Cologne l’éveillait sans le distraire d’effluves entêtants. Fraîche sans être banale, la Cologne incarne un idéal de modernité où la sophistication ne le dispute pas à l’ingénuité.


L'Eau de Cologne Napoléon, un cadeau impérial pour la fête des pères

Écho unique de l’histoire, l’eau de Cologne de Napoléon à Sainte-Hélène fascine et séduit par la modernité de sa fragrance. À l’occasion de la fête des pères, offrez le seul souvenir olfactif que l’on puisse avoir conservé de l’Empereur.

Une recette authentique

L’histoire offre rarement un souvenir aussi précieux que celui-ci : cette eau unique accompagna Napoléon jusqu’à ses derniers jours et révèle une dimension intime et confidentielle méconnue de ce personnage historique. Très attentif à son hygiène personnelle, Napoléon n’eut cependant jamais goût pour le parfum entêtant auquel il préféra toujours l’eau de Cologne dont il fit un usage qu’on qualifiera de pantagruélique. L’Empereur – que l’on connaît modéré en bien des domaines – ne regardait pas à la dépense dans le cas de ces rouleaux dont il ne se lassa jamais. Déchu et éloigné du monde, sur cette minuscule île de Sainte-Hélène, les réserves de sa précieuse cologne s’amenuisèrent rapidement. Le Mamelouk Ali, fidèle de l’Empereur l’ayant suivi en exil, recréa avec force de patience l’eau de Cologne si chère à Napoléon. La recette unique puise dans les ressources de l’île au climat étonnement méditerranéen, rappelant les arômes de la Corse. Jusqu’à ses derniers jours, Bonaparte ne fit confiance qu’à cette eau qui était pour lui le meilleur des remèdes.

Packaging de l’Authentique Eau de Cologne de l’Empereur Napoléon 1er à Sainte-Hélèneeau-de-cologne-empereur-napoleon
Se référant précisément à la formule originale rédigée par le Mamelouk Ali, l’Osmothèque a réussi à recréer, grâce à M. Jean KERLEO, l’Authentique Eau de Cologne de l’Empereur Napoléon 1er à Sainte-Hélène.

Le parfum de la Corse

Pourquoi Napoléon s’enticha-t-il de cette eau au point qu’elle lui devienne indispensable ? Il suffit de s’en asperger pour le comprendre. La fraîcheur piquante des notes hespéridés du cédrat, de la bergamote et de l’orange, la douceur du parfum de la bruyère chauffée par le soleil : tout dans ce flacon évoque le maquis corse. Bonaparte, éternel nostalgique de son enfance insulaire entre France et Italie, retrouvait sans doute dans l’eau de Cologne le parfum de son enfance. La lointaine Sainte-Hélène eut au moins la grâce d’offrir à l’Empereur déchu les ingrédients nécessaires pour recréer cet indispensable de sa vie quotidienne, ce souvenir olfactif exceptionnel qui nous est parvenu.

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Discrète élégance

Obtenue grâce à la recette retrouvée du Mamelouk Ali, cette eau de Cologne fabriquée en France est produite à partir de d’huiles essentielles naturelles. Alors que le parfum signe une allure, l’eau de Cologne anoblit le quotidien. D’un geste simple, elle éveille les sens au sortir de la douche et laisse quelques instants un sillage raffiné et discret. Sa simplicité racée a su séduire les parfumeurs de luxe et l’eau de Cologne ne se cantonne plus à la salle de bain. Après une séance de sport ou un après-midi à la plage, cette fragrance incarne un idéal de modernité où la simplicité s’accorde avec légèreté à la sophistication.


Assiette en porcelaine de Sèvres du service dit des

Les étrennes à Sainte-Hélène

La première moitié du XIXe siècle ignore encore tout des festivités de Noël sans pour autant être épargnée – du moins dans les classes sociales les plus aisées – par la distribution de cadeaux à l’occasion de la nouvelle année. Cette tradition des étrennes suit aussi Napoléon sous les latitudes de Sainte Hélène. Offrir des étrennes signifiait maintenir son rang, un respect de l’étiquette plutôt qu’une nécessité pour l’Empereur qui ne s’avouait pas déchu.


La tradition des étrennes à Sainte-Hélène.

Fraîchement débarqué à Sainte-Hélène le 17 octobre 1815, Napoléon n’arrive pas seul. Son petit entourage a connu les grandeurs de l’Empire ; il est certainement inenvisageable pour Bonaparte de les rendre témoins d’une déchéance quelconque de sa personne. Dès sa prise de possession de la résidence de Longwood, l’Empereur rétabli l’étiquette stricte qui régissait la vie aux palais des Tuileries. Or cette étiquette que l’on pense d’abord contraignante pour son entourage l’était tout autant pour lui. En la faisant appliquer à la règle, Napoléon était parfaitement conscient des devoirs qu’elle lui imposerait pendant son exil. Le 10 décembre 1815, jour de l’emménagement à Longwood, l’imminence des étrennes ne se fait que trop sentir. Mais la perfide Albion semblait bien décider à sournoisement déranger cette tradition en choisissant pour terre d’exil cette Sainte-Hélène aride sur laquelle aucun orfèvre ou joaillier, artiste ou tapissier n’avait jamais eu l’heureuse idée de s’établir. C’est donc dans ses biens personnels et les précieux reliquats de son fastueux passé que Napoléon puisera pour honorer sa petite cour.

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Les cadeaux offerts par Napoléon à Sainte-Hélène.

On ne connaît malheureusement pas précisément les meubles et objets emportés précipitamment par Napoléon et ses compagnons d’exil lors du départ pour Sainte-Hélène. Et pour cause, la plupart furent purement et simplement volés par les fidèles de l’Empereur dans l’unique but de lui plaire. Les journaux et archives de ceux qui eurent l’insigne honneur d’être admis en présence de Napoléon pendant son exil rapportent quelques-uns des cadeaux qu’il fit à l’occasion des étrennes. Emmanuel de Las Cases (1766 – 1842) note dans son journal à la date du 30 décembre 1815 qu’il s’est vu offrir par l’Empereur « un petit cadeau, bien léger à la vérité », d’après Napoléon lui-même, consistant en un traitement mensuel prélevé sur une somme dérobée à la vigilance anglaise.  En janvier 1816 Bonaparte offrit à Jane et Betsy Balcombe, les filles de William Balcombe (1777 – 1829), agent de la Compagnie des Indes chez qui il résida à son arrivée, deux tasses du cabaret égyptien, des pièces issues du service en porcelaine de Sèvres auquel l’Empereur tenait tant qu’il refusait qu’on s’en servit au quotidien de peur de le casser.

Assiette en porcelaine de Sèvres du service dit des
Rare assiette du service en porcelaine de Sèvres dit des « Quartiers Généraux » emportée durant l’exil à Sainte-Hélène. Elle fut très certainement offerte à un compagnon d’exil par l’Empereur lui-même. © Le Parisien

Le service dit des « quartiers généraux »  – qui ne connut aucun met sainte-hélénois pour les mêmes raisons que celles qui proscrivaient l’utilisation du cabaret égyptien –  fut également amputé de certaines pièces l’année suivante lorsque pour leurs étrennes, Napoléon offrit à Madame de Montholon et Madame Bertrand une assiette chacune du précieux service. Ce même mois de janvier 1817, le baron Gourgaud (1783 – 1852) rapporte que l’Empereur offrit des objets plus personnels : à Madame Bertrand une boite à bonbons jadis offerte par Pauline Bonaparte et à Gourgaud une lorgnette que l’Empereur tenait de la reine de Naples, sa plus jeune sœur. À Bertrand il offrit un jeu d’échecs puis disputa avec lui une partie après la distribution des cadeaux. En janvier 1818, les étrennes se réduisent à des bonbons contredisant les prédictions très aventureuses de Madame Bertrand qui s’attendait à des « cadeaux somptueux » dont on peine à comprendre d’où lui venait cette idée au vu de la situation géographique de l’île. Ces témoignages de moments joyeux illuminent l’idée souvent terne que chacun se fait de l’exil de Bonaparte. Les usages chers à l’Empereur demeurent malgré les restrictions. L’exil se colore ainsi de ces moments charmants et bourgeois propres à rendre le quotidien plus supportable, découvrant le visage intime d’un Bonaparte aussi impérial qu’attentionné.


Napoléon en habit de sacre

Les emblèmes de Napoléon Bonaparte : simplicité et érudition

Napoléon Ier forge ses propres emblèmes loin de ceux trop connotés de l’Ancien Régime. Le jeune Empereur entend offrir de nouvelles perspectives à l’histoire de France dont les valeurs sont désormais portées par des symboles lisibles et historiques forts.


L’influence antique.

Déjà le consul Bonaparte (1799 – 1804) affichait, dans le choix de son mobilier et de ses objets d’art, une assurance qui étayait une pensée plus vaste en matière de volonté politique. Une fois Empereur, ses architectes et décorateurs Percier (1764 – 1838) et Fontaine (1762 – 1853) se chargèrent d’imposer un style officiel s’abreuvant aux goûts de l’Antiquité romaine. Meubles massifs d’acajou et de marbre évoquaient les temples antiques, la sobriété luxueuse des bronzes dorés empruntaient aux décors de la Rome républicaine tandis que les couleurs jaune d’or, vert, cramoisi, violet et pourpre puisaient aux fresques récemment découvertes d’Herculanum et de Pompéi. C’est à l’aube de son couronnement que se posa l’épineux problème des futurs emblèmes impériaux. Chacun y alla de son animal ; les moins chauvins proposèrent le lion ou l’éléphant tandis que les plus patriotes portèrent leur dévolu sur le coq. D’autres encore, plus bucoliques sans doute, suggéraient le chêne. Alors que le gallinacé sembla un temps l’emporter, il fut évincé par le lion, lui-même rayé par la main de Napoléon qui lui préféra l’aigle. L’aigle (que l’héraldique décrète féminine lorsqu’elle désigne le rapace des blasons) était aussi l’emblème de la Rome impériale et associait ainsi élégamment la haute antiquité et l’héraldique traditionnelle à travers l’évocation de l’aigle carolingienne.

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Des symboles clairs et érudits.

Si l’aigle est emblématique du règne de l’Empereur, certains symboles évoquent plus directement Bonaparte. En premier lieu citons la couronne de laurier superbement mise en scène lors du sacre de l’Empereur où la tête de ce dernier, laurée de feuilles d’or  – œuvre du grand orfèvre Biennais (1764 – 1843) – donnait à ce moment historique un caractère grandiose hérité du panache antique.

Napoléon en habit de sacre
Napoléon Ier sur le trône impérial en costume de sacre peint par Jean-Auguste Dominique INGRES (1780 - 1867) en 1806. Aujourd’hui conservé au Musée de l’Armée. © Cairn

Car ce mythologique attribut d’Apollon célébrait, à Rome, aussi bien les poètes que les chefs de guerre victorieux : le feuillage toujours vert symbolisait l’immortalité acquise par la victoire. Récompense honorifique et prestigieuse attribuée aux grands personnages militaires et, par conséquent, à l’Empereur, la couronne de laurier n’a jamais perdu de sa superbe et parvint au XIXe siècle avec la même fraîcheur, enrichie seulement de la gloire idéalisée de l’Empire romain.

Les abeilles eurent quant à elles le privilège d’être reconnues pour leur organisation, leur travail acharné et leur capacité à se sacrifier pour l’intérêt commun de leur ruche. Rien de moins qu’un symbole patriotique idéal, d’autant qu’elles tenaient de l’Église une connotation divine (elles portent la parole divine et la sagesse à Saint Ambroise et Jean Chrysostome). Par ailleurs, on cru (et ce jusqu’à récemment) que les insectes d’or retrouvés en 1653 dans la tombe de Childéric Ier– le trop peu célèbre fondateur de la dynastie mérovingienne et père de Clovis – étaient des abeilles. Or il s’avère que ces dernières étaient en réalité des cigales. Qu’importe, les abeilles de Childéric furent considérées comme le premier emblème des souverains de France. Il n’en fallait pas plus pour asseoir notre Empereur dans la continuité naturelle du pouvoir régnant sans vexer le pouvoir religieux. Ainsi lié à une Antiquité idéalisée et à une histoire sinon entomologique du moins française, Napoléon Bonaparte n’avait qu’à graver son nom dans l’histoire. Ce qu’il fit littéralement. Son chiffre (la lettre N) fut en effet sculpté sur les façades du Louvre. Néanmoins, les revanchards Bourbons, une fois revenus sur le trône, s’empressèrent de marteler et de limer la lettre impériale. Ainsi, la plupart des « N » qui ornent aujourd’hui le Louvre sont ceux de Napoléon III et non ceux de son empereur d’oncle.  Enfin, dernier symbole et non des moindres, le « N » couronné que l’on retrouve sur les pièces de monnaie de l’époque. Cette couronne aujourd’hui conservée au Louvre fut seulement utilisée le jour du sacre. Appelée Couronne de Charlemagne elle présente une allure médiévale opportune avec ses huit demi-arches d’or ornées de camées ; un globe surmonté d’une croix achève l’œuvre dessinée par Percier. Placée au-dessus de la tête de l’Empereur ceinte de lauriers, la couronne lia durant la cérémonie gloire antique, histoire et patriotisme.

Cet ensemble de symboles opéra un discours simple, clair et d’autant plus puissant que la juxtaposition de ses éléments évoque instantanément, et encore aujourd’hui, l’Empereur Napoléon Ier.


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