Napoléon et Joséphine : un couple ordinaire
Le couple mythique formé par Napoléon et Joséphine éveille aujourd’hui encore la curiosité tant ces deux caractères semblent opposés en tous points. Ce couple qui mêla d’abord le feu et la glace n’eut pourtant d’inconcevable que d’être étrangement ordinaire… à nos yeux contemporains. Histoire d’un couple moderne avant l’heure.
Un couple que tout oppose
Joséphine de Beauharnais (1763 – 1814) rencontra pour la première fois Napoléon (1769 – 1821) en 1795. Elle règnait alors sur le Directoire aux côtés d’autres femmes jeunes et élégantes – telle que la piquante Madame Tallien – dont elle se distinguait en étant de loin leur aînée. Joséphine était âgée de 32 ans, veuve et mère de deux enfants. Sa noblesse était, au mieux, insignifiante, et ses dettes jouissaient d’un bien plus grand prestige que son nom. Auprès de Napoléon, elle se prétendit riche et il succomba un temps aux charmes de cette aristocratie déliquescente ; pas assez cependant pour ne pas faire vérifier le réel état des finances de sa dulcinée. Mais qu’importe, ce jeune homme à qui Paul Barras (1755 – 1829) promettait un grand avenir, devait bien reconnaître que le mariage lui serait financièrement plus favorable qu’à elle : le 8 mars 1796, le contrat de mariage établit en effet que Joséphine apportait au ménage sa rente annuelle de 25000 francs tandis que le Corse ne constituait pour le moment qu’une maigre pension de 1500 francs en cas de veuvage…
Napoléon fut amoureux fou de sa Joséphine, il ne supporta d’ailleurs plus l’idée d’épouser une autre femme qu’elle. Cet état d’esprit ne fut malheureusement pas partagé par l’élégante. Son cœur ne chavira pas pour cet homme qui n’était ni de son genre ni de son esprit. Ce qui la décida fut précisément ce qui, dès le début, les sépara : pour elle, le mariage était – comme sous l’Ancien Régime – une affaire de convenances et d’intérêts mêlés, mais en aucun cas une affaire de sentiments ! Napoléon, quant à lui, n’avait que faire de cette séparation d’apparences et aspirait à un mariage reposant sur un amour partagé, une idée bien moderne dans cette haute société où prévalait toujours les codes d’une aristocratie à peine ensommeillée. Lorsque Joséphine consentit enfin à ce mariage, ce fut avant tout dans le but de préserver son existence mondaine et la sécurité de ses enfants. Ce glorieux général lui apportait contenance et sécurité à une époque où la Terreur hantait encore tous les esprits. Elle pensait par ce mariage conserver les frivolités et les mondanités, les galanteries passagères et s’assurer la sécurité du foyer. Lui, s’imaginait mari comblé et aimé d’une épouse qui prendrait soin d’entretenir un foyer respectable et heureux. Deux mondes s’opposaient sans que l’un ne le devine chez l’autre.
Leur correspondance respective est en ce cas éloquente. Lorsque Napoléon s’émeut « Je me réveille plein de toi », Joséphine se plaint à l’une de ses amies « Je me trouve dans un état de tiédeur qui me déplaît et que les dévots trouvent plus fâcheux que tout ». Sûrement, l’expérience de Joséphine sur le terrain de la galanterie ne laissa rien voir de cette tiédeur à son mari. Pourtant, une fois celui-ci partit en Italie, l’indifférence non dissimulée de Madame Bonaparte face aux suppliques du général marqua les esprits parisiens. Les lettres d’Italie ne tarissaient jamais et arrivaient presque chaque jour tandis que les réponses étaient rares et capricieuses. Éploré, esseulé, à peine consolé par ses victoires, comment ne pas sentir toute la douleur et le désespoir du général lorsque, impatient de retrouver (enfin !) sa Joséphine à Milan, il trouva le palais vide, la belle s’étant éclipsée pour profiter des plaisirs de la société génoise. Dans une lettre déchirante, on lit la résignation du général amoureux :
J’arrive à Milan, je me précipite dans ton appartement, j’ai tout quitté pour te voir, te presser dans mes bras ; … tu n’y étais pas : tu cours les villes avec des fêtes ; tu t’éloignes de moi lorsque j’arrive, tu ne te soucies plus de ton cher Napoléon. Un caprice te l’a fait aimer, l’inconstance te le rend indifférent.
Accoutumé aux dangers, je sais le remède aux ennuis et aux maux de la vie. Le malheur que j’éprouve est incalculable ; j’avais le droit de n’y pas compter.
Je serai ici jusqu’au 9 dans la journée. Ne te dérange pas ; cours les plaisirs ; le bonheur est fait pour toi. Le monde entier est trop heureux s’il peut te plaire, et ton mari seul est bien, bien malheureux.
L’image du conquérant intransigeant et stratège que l’Europe découvrait alors est ici bien lointaine…
Le fossé se creusa entre les deux époux malgré la persévérance d’un Napoléon qui souffrait à reconnaître qu’il n’était pas aimé de sa femme. Au retour de la campagne d’Égypte, la menace du divorce plana sur le jeune couple et Joséphine mesura avec horreur les dégâts qu’elle avait commis. Si la situation n’avait rien de commun en ce jeune XIXe siècle, qu’a-t-elle d’originale à nos yeux contemporains ?
L’entente bourgeoise
Par un ironique retournement de situation dont la vie a le secret, c’est Joséphine qui craindra désormais que Bonaparte ne la quitte. Ce dernier, ayant perdu toutes illusions concernant les sentiments de son épouse à son égard, se détacha peu à peu d’elle sans pour autant jamais lui retirer l’affection – toujours grande – qu’il eut pour elle. S’il ne pouvait exiger un amour réciproque, il entendait néanmoins maintenir la tranquillité et la respectabilité de sa maison. Des exigences on ne peut plus bourgeoises pour un homme bientôt élevé à la dignité impériale. L’entourage du couple témoigna avec étonnement de cette vie de famille bien éloignée des mœurs royales de ses prédécesseurs et auxquelles on était depuis toujours habitué : « L’Empereur était en effet un des meilleurs maris que j’ai jamais connu » témoigne Mademoiselle Avrillion (1774 – 1853), première femme de chambre de l’impératrice. Elle poursuit « lorsque l’impératrice était incommodée, il passait auprès d’elle tout le temps qu’il lui était possible de dérober aux affaires […] Il avait pour elle une tendre amitié ». Le témoignage de Louis Constant (1778 – 1845), premier valet de chambre de l’Empereur, n’est pas moins inattendu « Combien fut touchant l’accord de ce ménage impérial ! Plein d’attention, d’égards, d’abandon pour Joséphine, l’Empereur se plaisait à l’embrasser au cou, à la figure, en lui donnant des tapes et l’appelant « ma grosse bête ». Et la « grosse bête » d’impératrice aimait à faire la lecture le soir à son empereur de mari !
Si la question de l’héritier était épineuse, celle des enfants de Joséphine ne l’était pas et, comme dans une famille recomposée aujourd’hui, Napoléon Ier choyait tendrement les enfants de sa femme. Hortense et Eugène furent sans cesse au centre de ses préoccupations et Bonaparte ne renia pas ce surnom d’oncle « Bibiche » dont l’affubla le fils d’Hortense. Ces enfants auraient-ils pu connaître meilleur beau-père ?
Comme dans tous les ménages modernes, les disputes étaient pourtant inévitables. Et si Napoléon Bonaparte imposait sa volonté à l’Europe il y parvenait difficilement dans son propre foyer ! Joséphine dépensait sans compter, et lorsque son mari comblait enfin ses dettes elle avait déjà eut tout le loisir d’en creuser de nouvelles. Lui, attaché à l’ordre et à la régularité, parvenant par son génie à gagner de grandes batailles à travers tout le continent, échoua systématiquement à contraindre Joséphine au respect de ses budgets.
Les préoccupations domestiques du couple impérial étaient-elles si différentes des préoccupations bourgeoises de la même époque ? Si ce n’est l’envergure de la demeure et des dépenses, sont-elles même encore différentes des nôtres ?
Pour s’en convaincre, ajoutons que les animaux de compagnie n’échappaient pas à cette vie bourgeoise. Car la question se posa : qui sortira le chien ? Non pas pour sa promenade quotidienne comme on pourrait le penser mais bien du lit de Joséphine. Désignant un molosse frisottant (un caniche prénommé Fortuné), Napoléon dit à son ami Antoine-Vincent Arnault (1766 – 1834) « Vous voyez bien ce monsieur-là, c’est mon rival. Il était en possession du lit de Madame quand je l’épousai. Je voulus l’en faire sortir : prétention inutile, on me déclara qu’il fallait se résoudre à coucher ailleurs ou consentir au partage. » Napoléon sachant le chien indétrônable (une ironie désagréable pour celui qui s’intronisa lui-même) mais pas éternel, il prit son mal en patience et la minute suivant le trépas de Fortuné, il défendit fermement qu’un remplaçant soit désigné. Peine perdue car Joséphine passa rapidement outre l’interdiction de son époux et fit l’acquisition d’un carlin. Furieux, l’Empereur encouragea alors vivement son cuisinier à acquérir un grand dogue terrifiant (et sûrement affamé) dans l’espoir que ce dernier ferait son repas de l’indésirable toutou.
Tromperies et divorce
Joséphine au début de leur relation et durant leurs premières années de mariage trompa Napoléon avec une désinvolture qui marqua les esprits, au point que Barras lui recommanda la prudence dans ses relations avec Charles Hippolyte (1773 – 1837). Puis, c’est elle qui eut à craindre les tromperies de son mari. Un pressentiment l’inquiéta avec raison lors du séjour, en 1807, de Bonaparte en Pologne. L’Empereur et Madame Walewska (1786 – 1817) tombèrent sincèrement et durablement amoureux et leur idylle donna naissance au premier fils de l’Empereur en 1810, prouvant indirectement l’incapacité de Joséphine à lui donner un héritier et entraînant, à regret, le déclenchement de la procédure de divorce. L’Empereur ne fut donc pas non plus fidèle à Joséphine mais il prit tous les soins pour que sa femme ignore tout de ses liaisons. Une attitude bien éloignée des grands d’Europe qui entretenaient et laissaient parfois s’écharper épouses et maîtresses officielles. Toujours Bonaparte voulut que son entourage et sa famille soient heureux et tranquilles, une préoccupation encore toute empreinte d’un esprit bourgeois.
Dans cette nouvelle société oscillant entre les mœurs de l’Ancien Régime et une modernité post-révolutionnaire, Napoléon et Joséphine formèrent un couple finalement uni qui su dominer les scènes militaire, politique et mondaine chacun par leur talent : lorsque lui « gagne des batailles, Joséphine gagne les cœurs ».
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Bien après leur divorce, les relations entre Napoléon et Joséphine demeurèrent empreintes de tendresse et d’amitié sincère. Les visites de Bonaparte à Joséphine à la Malmaison étaient fréquentes. Il veilla toujours à ce qu’elle ne manque de rien (malgré sa mauvaise manie d’entretenir des dettes) et lui conserva son titre d’Impératrice malgré leur divorce. Elle s’inquiéta toujours de lui, chercha et facilita son mariage avec Marie-Louise d’Autriche (1791 – 1847) et félicita sincèrement son ex-mari à la naissance du Roi de Rome. Toute sa vie et encore à Sainte-Hélène, l’Empereur évoquera avec émotion ses souvenirs de Joséphine.
Si l’histoire s’intéressa peu au second mariage de Napoléon, cela tient sans doute à cette singulière relation qui au XIXe siècle fut certainement aussi insolite qu’elle semble, à nos yeux contemporains, étrangement ordinaire…
Les visages de Napoléon Bonaparte
Il fut le chef d’État post-révolutionnaire le plus portraituré et les images de sa personne firent l’objet d’un commerce enlevé jusqu’à la fin du XIXe siècle. Pendant près de cent ans, Napoléon Bonaparte fut immortalisé par ses partisans comme par ses plus farouches opposants. Il est pourtant bien difficile de se faire une idée précise du visage de cet homme qui travailla toute sa vie à la construction de son propre mythe.
Les portraits du jeune général de l'armée d'Italie
En mars 1796, le général Bonaparte, fraîchement marié, partit pour la campagne d’Italie où rapidement les victoires furent nombreuses et foudroyantes. Son nom jusque là peu connu devint synonyme de gloire. Les gazettes militaires ne tarissaient pas d’éloges sur le jeune général ; et pour cause, Bonaparte les tenait sous sa coupe en ayant confié leur rédaction à des hommes qui lui étaient dévoués. La propagande écrite dressait alors le portrait d’un général héroïque et les images imprimées donnaient forme à ce Napoléon dont la destinée n’était pas due à sa naissance mais bien à ses vertus exceptionnelles. Déjà, l’emprunt aux mythes des héros antiques berçaient le peuple français de rêves glorieux incarnés par une figure qui deviendrait bientôt celle d’un demi-dieu. L’instabilité du Directoire, le choc de la Terreur et les sentiments anticléricaux virulents sous la période révolutionnaire attisaient le désir de voir émerger une figure protectrice capable de redonner à la France son envergure et son prestige. Le jeune général allait se donner littéralement les traits de cette ambition.
Les premiers portraits de Napoléon sont réalisés dans ce contexte de la campagne d’Italie. Aucun portrait officiel d’avant 1795 ne nous est aujourd’hui connu. Le plus ancien est celui tracé au crayon et rehaussé d’aquarelle signé du dessinateur et graveur Giuseppe Longhi (1766 – 1831) et daté de 1796. Le plus ressemblant est celui peint en 1796 – 1797 par le général Bacler d’Albe (1761 – 1824), un des plus anciens compagnons du futur empereur qui possédait l’avantage d’une bonne connaissance du caractère de son camarade. Puis vient un des plus fameux, celui de Jean-Antoine Gros (1771 – 1835) : Bonaparte idéalisé au pont d’Arcole, le visage tourné vers son armée et portant en avant le drapeau français. Déjà, le peintre se plaignait que son modèle n’accordait que quelques instants de pose, reconnaissant qu’il devait se résigner « à ne peindre que le caractère de sa physionomie, et après cela, de [son] mieux à y donner la tournure d’un portrait ». Andrea Appiani (1754 – 1817) réalisa quant à lui le portrait en pied du général peu après la victoire de Lodi (1796), portrait qui connut une grande fortune dans sa version gravée.
Ces artistes posèrent les traits qui définirent le général Bonaparte pendant quelques années : un visage acéré encadré de cheveux fins et longs, un regard aiguisé au dessus d’un nez aquilin et d’un menton proéminent.
Napoléon Bonaparte ne négligea pas de mettre en scène sa propre épopée. À son retour d’Italie, les grandes batailles qu’il avait remportées étaient déjà immortalisées ou en passe de l’être. En 1797, Jacques-Louis David (1748 – 1825), chef de file des peintres néoclassiques, ne s’y trompa pas en s’exclamant à propos de son futur modèle « Oh mes amis, quelle belle tête il a ! C’est pur, c’est grand, c’est beau comme l’Antique ! ». Le général ne le contredirait pas, entendant bien accéder à cette grandeur héroïque en faisant apparaître sa personne comme la fusion des visages mythiques les plus célèbres.
Jacques-Olivier Boudon (1962 – ) nous les décrit dans Grand homme ou demi-dieu ? La mise en place d’une religion napoléonienne (In: Romantisme, 1998, n°100. Le Grand Homme. pp. 131-141) :
[…] tantôt Héraclès lorsqu’il s’attache aux nombreux travaux laissés en suspens par la Révolution, tantôt Alexandre lorsqu’il part à la conquête du monde [l’Italie, l’Égypte], tantôt Hannibal lorsqu’il passe les cols des Alpes pour envahir l’Italie. Il n’est pas loin de ressembler à César quand il franchit, le 18 Brumaire, les limites de la légalité pour « sauver la République », César encore quand, en 1814, il est trahi par ses proches notamment Murat, et par le Sénat. Il est également Alcibiade, rappelé de son exil en 1815 pour régler les difficultés de la France, ou Solon, s’appliquant à doter le pays d’institutions civiles et judiciaires solides et stables.
Homme d’action serein et réfléchi face à la dangerosité de la situation ou des éléments, il est aussi le héros conscient de son devoir, vertueux et téméraire dans les œuvres de Gros ou de David. Ses traits idéalisés souligne un visage marmoréen augurant un avenir glorieux et tragique comme le sont les vies héroïques.
Lorsqu’il devint Premier Consul à la fin de l’année 1799, le jeune héros courageux céda un temps la place au chef d’État sage et magnanime. Les cheveux étaient désormais portés courts et la posture changea ; celle consistant à contrôler étroitement l’image de propagande de Bonaparte demeura elle solidement ancrée. Les peintres devaient rendre l’attitude d’un législateur pondéré et bienveillant, en cela, Antoine-Jean Gros remporta encore tous les lauriers. Dans son portrait en pied, Bonaparte désigne de sa main les nombreux traités qu’il engage au cours de sa politique, son regard se porte au loin, comme imprégné de sa destinée et de celle de son pays. L’habit rouge rappelle la couleur du pouvoir romain. La toile fut reproduite à plusieurs exemplaires tant elle plut au Premier Consul.
Jacques-Louis David proposa également un portrait sur ce thème dont un détail emblématique est toujours aujourd’hui maladroitement compris : Napoléon Bonaparte portant sa main dans son gilet. Il ne s’agit pas de soulager d’éventuelles douleurs à l’estomac mais plutôt d’imiter la posture emblématique du philosophe grec Eschine (Ve siècle avant J.C) – qui certainement ne fut pas épargné par quelques dérangements stomacales, mais dont on préféra retenir l’attitude de pondération qui émane toujours la sculpture le figurant (Musée archéologique national de Naples). L’attitude n’était pas nouvelle car nombreux furent ceux à en tirer parti sans pour autant en gagner les vertus. Cette posture devenue emblématique a fini aujourd’hui par se confondre avec le personnage même de Napoléon Ier, une preuve supplémentaire de l’attention portée à la construction d’un mythe, du vivant même de Bonaparte.
Le portrait de l’Empereur
Le Sacre du 2 décembre 1804 marque le temps fort de l’épopée napoléonienne. Il cristallise l’image de Bonaparte comme l’aboutissement d’un destin héroïque et comme l’avènement d’une ère nouvelle, d’une France nouvelle, qui coïncident avec un siècle nouveau. À l’époque, l’évènement est ressenti et exploité comme tel par le pouvoir. Balzac en témoigne lorsqu’il écrit que l’empire sert de préface au siècle. Désormais, l’Empereur est comparable à Auguste ou Charlemagne dont il se veut l’héritier, ce que traduit parfaitement le Napoléon Ier sur le trône impérial peint par Ingres en 1806.
Aux dires de ses contemporains, il s’agit là d’un des portraits les moins ressemblants tant il est idéalisé ; l’œuvre n’eut pas les faveurs du pouvoir qui lui préféra celle peinte par David où Napoléon apparait en majesté, couronnant son épouse après s’être lui-même couronné, accaparant les pouvoirs d’un Pape relégué à un rôle secondaire. La force des images du sacre transcende les pouvoirs de ce Bonaparte qui de général héroïque s’est élevé par la seule force de ses qualités au rang de demi-dieu.
L’assimilation de la figure divine à la figure impériale n’a rien de fortuit et couronne une stratégie de propagande menée avec brio par ce jeune Corse sans naissance. Le culte impérial va contribuer à enrichir cette synthèse mêlant à l’image de l’Empereur une image quasi-divine en s’appuyant toujours sur des textes. Après avoir signé le Concordat en 1801 et rétabli le calendrier grégorien en 1806, un catéchisme impérial voit le jour la même année. Sa connaissance est indispensable pour accomplir sa première communion et engage « à communier en un même mouvement dans l’amour de Dieu et le respect de l’Empereur. » (Jacques-Olivier Boudon, ibid). Dès lors, l’image de l’empereur rejoint celles de l’Ancien Régime, en les surpassant toutefois car sa dignité et la valeur de demi-dieu qui lui sont prêtées ne sont dues qu’à sa seule volonté et non à sa naissance. Le héros antique transcende ici la figure historique et permet à Napoléon d’accéder au rang de figure mythologique, presque immortelle.
Chaque image sert une propagande réfléchie. Les gravures circulent partout en France et pour une somme modique, on peut acquérir l’image de l’empereur. Sur les médailles ou la monnaie, le visage de Bonaparte est partout présentant son profil couronné de lauriers à l’image des empereurs romains. Tout au long de son règne, il est l’homme d’État providentiel par excellence et beaucoup plus rarement un homme ordinaire dont on voit la physionomie évoluer au fur et à mesure qu’il vieillit.
Les rares portraits de l’exil à Sainte-Hélène
Lorsque l’exil sur l’île de Sainte-Hélène débuta en octobre 1815, Bonaparte était alors un homme fatigué, seulement âgé de 46 ans. La maladie dont il souffrira jusqu’à sa mort s’était déjà déclarée et le fit souffrir de plus en plus régulièrement. Aucun artiste officiel ne l’accompagna dans cet retrait forcé mais ses proches et quelques résidents de l’île le dessinèrent parfois. Ces croquis qui n’étaient plus soumis au strict regard de la propagande d’Empire apparaissent aujourd’hui comme les derniers témoignages, intimes et touchants, d’un homme qui pourtant continua à attiser et à entretenir sa propre légende.
Son masque mortuaire est aujourd’hui le dernier visage, sans fard ni idéalisation que l’on possède du célèbre empereur. Le patient travail de propagande mené par Napoléon sur sa propre image n’a pas pris une ride. Toujours certains traits caractéristiques dessinent sans équivoque la figure unique de cet homme dans les arts, les romans ou le cinéma. Sans que l’on puisse connaître véritablement les traits de sa physionomie, son mythe s’est imposé à tous.
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Chacun conçoit parfaitement sa figure sans pour autant l’avoir jamais réellement connue. Cette approche visionnaire et cette conscience parfaite du pouvoir de l’image, du texte et de la propagande sont parvenues à hisser ce stratège de génie au rang de grand homme, sinon d’immortel.
Néanmoins, notons qu’il subsiste pourtant les traits de l’Empereur immiscés dans le portrait photographié de son fils illégitime avec Marie Walewska (1786 – 1818). Né en 1810, Alexandre Walewska fut de l’avis de ceux qui le connurent, un portrait frappant de son illustre père. Chacun y devinera les traits que notre inconscient collectif prête depuis près de 200 ans à l’une des figures les plus emblématiques de l’histoire de France.
La mort de Napoléon Bonaparte à Sainte-Hélène : un si grand mystère ?
Lorsque Napoléon meure à Sainte-Hélène, la question des causes de sa mort devient rapidement sujet à débats. Cancer ? Poison ? Les passions s’échauffent à ces seules évocations, car même après sa mort, Bonaparte maîtrise l’art d’alimenter sa propre légende. En effet, qui ne serait tenté d’imaginer une fin romanesque à la hauteur de ce personnage hors-norme ?
Napoléon Bonaparte meurt à Sainte-Hélène
Le 5 mai 1821 à 17h49 s’éteint à 51 ans celui qui domina un temps presque toute l’Europe. Suscitant autant l’admiration, la crainte que la haine (Tolstoï, Germaine de Staël ou Chateaubriand nous en laissèrent de vifs souvenirs), l’Empereur exilé meurt à la suite de longues souffrances dans sa maison de Longwood. Il part sans même laisser un bon mot à la postérité ; ses dernières paroles sont décevantes car confuses et peu compréhensibles.
Depuis le mois de mars, Napoléon était alité. Supportant de moins en moins les aliments, il s’affaiblissait rapidement. Persuadé depuis fort longtemps que le mal qui avait emporté son père (un squirre cancéreux au pylore) aurait raison de lui, il refusait la plupart des médicaments prescrits par ses médecins. Pourtant, ces derniers décidèrent le 4 mai de passer outre la volonté pourtant claire de Napoléon Ier et s’accordèrent sur l’administration d’une dose de calomel diluée dans un verre d’eau. Seul le docteur François Antommarchi (1780/89 – 1838) s’opposa farouchement à cette administration, mais perdit la bataille. Louis-Joseph-Narcisse Marchand (1791 – 1876), fidèle compagnon de l’empereur, fut chargé de donner le remède secret, mission dont il s’acquitta d’autant plus honteusement, que Bonaparte, après avoir bu le contenu de son verre, dit « avec un ton de reproche si affectueux […] : « Tu me trompes aussi ? » ». Marchand, qui en fut bouleversé, ne savait que trop bien qu’il manquait à sa promesse de ne rien lui administrer sans sa permission.
La calomel eut assurément un effet, mais pas celui escompté. Et le lendemain, en fin d’après-midi, Napoléon expira. Lorsque minuit fut passé, on déplaça le corps qui fut soigneusement lavé à l’aide de l’eau de Cologne qu’il aimait tant mêlée d’un peu d’eau de la fontaine de Torbett.
La dernière volonté de l’empereur était d’être inhumé en France, mais le gouvernement anglais s’y opposa fermement par l’intermédiaire du gouverneur de l’île. Ce dernier laissa cependant les proches du défunt choisir librement un lieu de sépulture à Sainte-Hélène.
Dans les premières années de son exil, Napoléon avait découvert sur l’île la fontaine Torbett et avait recommandé que : « si après [sa] mort, [son] corps reste entre les mains de [ses] ennemis » sa dépouille y soit déposée. Le lieu s’imposa donc de lui-même.
L’artisan tapissier Andrew Darling, chargé de superviser la fabrication des cercueils, note qu’il lui fut spécifié que « les cercueils devaient être le premier en fer blanc, garni de satin rembourré de coton, avec au fond un petit matelas et un oreiller faits des mêmes matières ; le second en bois ; le troisième en plomb ; et enfin un cercueil d’acajou recouvert de velours pourpre, si on pouvait s’en procurer. » L’acajou étant un bois rare, on sacrifia une table de cette essence pour la confection du dernier cercueil.
Après l’autopsie de Napoléon, deux vases d’argent remplis d’esprit de vin reçurent le cœur et l’estomac. Ces vases hermétiquement fermés furent placés dans le cercueil. On scella de la même manière les cercueils successifs et on fit de la tombe de Napoléon une forteresse imprenable. La fosse fut maçonnée, dallée, le cercueil déposé à nouveau protégé d’une dalle, elle-même coiffée d’une importante épaisseur de terre naturelle. Une autre dalle à la surface indiquait l’emplacement de la tombe.
La plaque qui devait donner l’identité du défunt sur le cercueil resta muette. Car, sans que cela soit une surprise, Français et Anglais ne s’accordèrent jamais sur l’inscription la plus juste capable de désigner l’habitant du tombeau ; chaque nation avait une idée très arrêtée de ce qu’elle entendait par « juste ».
Napoléon prépare sa légende
Bien avant de mourir, et dès qu’il posa le pied à Sainte-Hélène, l’empereur demeura un féroce adversaire des Anglais. La décision de l’isoler au milieu de l’Atlantique ne suffit pas à arrêter Napoléon et les Britanniques eurent encore tout le loisir de le voir s’exercer à saper leur autorité. Emmanuel Las Cases (1766 – 1842) témoigne dans ses Mémoires des trésors d’inventivité dont fit montre Bonaparte pour donner à l’Europe l’image d’une captivité déshonorante et pour faire des Anglais d’affreux personnages, tout à fait dénués d’humanité.
Pourtant la réalité était toute autre et Napoléon était bien traité, malgré quelques chamailleries protocolaires et financières qui mettaient régulièrement Bonaparte dans une colère noire. Celle qui l’agaçait par-dessus tout tenait à ce que les Anglais ne lui accordaient que le titre de général, quand Bonaparte exigeait celui d’empereur, qu’il considérait légitime et de plein droit.
Parmi ses mises en scène les plus fameuses, le Corse fit par exemple vendre son argenterie sur la place de Jamestown pour faire croire qu’il se trouvait aux derniers échelons de la pauvreté. Les marchands de passage revenant des Indes devaient, à leur insu, jouer le rôle de commères en Europe et répandre l’infâme nouvelle. Jean Tulard, historien et spécialiste de Napoléon Ier, rappelle également que Napoléon donna « un rôle odieux à Hudson Lowe (1769 – 1844), qui par ailleurs, n’était pas un monstre de finesse ».
Avant d’embarquer à l’Île d’Aix en juillet 1815 Napoléon Ier avait refusé plusieurs projets d’évasion, « il valait mieux pour sa légende qu’il meure, comme il le dira, assassiné par le gouvernement britannique » rappelle Pierre Branda, historien français spécialiste du Consulat et du Premier Empire. L’homme avait déjà une conscience aiguisée de sa postérité.
De quoi Napoléon Bonaparte est-il mort ?
À moins de profaner le tombeau des Invalides, le saura-t-on jamais avec certitude ? Néanmoins, les nombreux récits de ses proches et des personnes témoins de son enterrement et de ses relations pour le moins conflictuelles avec ses flegmatiques geôliers orientent davantage l’enquête vers une mort de cause pathologique que vers celle d’un perfide empoisonnement. Bien sûr, cette dernière théorie a de quoi séduire ! Un personnage historique de cette envergure peut-il mourir bêtement d’un estomac défaillant ? Il semblerait pourtant que nous devions nous en accommoder.
D’aucuns brandissent les traces d’arsenic détectées dans ses cheveux mais c’est oublier bien vite qu’il en fut également trouvé dans ceux de Joséphine et de l’Aiglon. C’est ignorer aussi qu’au XIXe siècle, l’arsenic était très répandu dans des usages bien éloignés de l’empoisonnement, à tel point qu’il était souvent rangé dans la cuisine (et servait parfois malencontreusement d’ingrédient criminel à une gastronomie peu recommandable).
Il servait aussi à la fabrication des bougies, des cigarettes, des pigments de peinture (pour l’impression de la tapisserie notamment), de teinture ou encore de cosmétiques. De nombreuses mèches de cheveux de l’impériale tête ont été étudiées. Presque systématiquement, les rapports ont conclu de ces analyses que les doses étaient certes élevées, mais pas dans le contexte du début du XIXe siècle.
Comme la racine des cheveux présentait des traces d’arsenic, certains y virent la preuve que Napoléon avait ingérer le poison par des aliments ou du vin. Cela sous-entend d’abord que l’empoisonneur aurait du faire partie des proches de l’empereur exilé. Ensuite, ce criminel se devait d’avoir une patience à toute épreuve car aucun homme ne risquait de mourir foudroyé en ingurgitant de si faibles doses d’arsenic. Il faut donc en déduire que, dans le cas d’un empoisonnement, il aurait été imaginé un « empoisonnement au long cours ». Hélas pour cette théorie, le « service à la française » régnait à la table de Longwood, les plats étaient donc présentés sur la table et chacun s’y servait selon son goût ou sa faim. Alors, le criminel aurait du accepter de s’empoisonner en empoisonant sa victime ! Comme le résume malicieusement Jean Tulard, soit l’empoisonneur n’était pas doué, soit il a quand même mis beaucoup de temps pour tuer Bonaparte.
Quant est-il du corps que l’on retrouva presque intact en 1840 lors de son rapatriement aux Invalides ?
L’arsenic, aussi bien qu’un embaumement, est célèbre pour conserver les corps. Encore une fois, souvenons-nous que Napoléon fut inhumé, non pas dans un, mais bien dans quatre cercueils hermétiquement fermés. Très probablement, un phénomène de saponification (transformation des chairs en adipocire) se trouva favorisé par l’absence d’air et dans ce genre de contexte, la bonne conservation d’un corps est assez souvent constatée.
En aurait-on alors profiter pour échanger le corps du souverain par un autre moins prestigieux ? Et inhumer aux Invalides un cuisinier plutôt qu’un empereur ? Là encore, il n’y a aucune raison de le croire puisque l’exhumation se fit en présence de nombreux témoins qui avaient vu la dépouille 20 ans auparavant. Or aucun ne trouva à y redire et, passée la surprise de cette étonnante conservation, ils reconnurent sans peine le célèbre défunt.
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La question de la mort de Napoléon Ier déchaîne aujourd’hui les passions et témoigne moins de l’intérêt que suscite l’empereur que de son incroyable talent de communicant. Lui qui avait parfaitement conscience du caractère exceptionnel de sa destinée déclarait « Quel roman que ma vie ! » alors qu’il dictait ses souvenirs à Las Cases. En effet, la comparaison était appropriée : quels meilleurs romans que ceux dont la fin entretient le mystère ?
Création de la Banque de France par Napoléon Bonaparte
En ce tout jeune XIXe siècle, l’économie moribonde post Révolution engagea le Premier Consul Napoléon Bonaparte à créer la Banque de France le 18 janvier 1800 afin de favoriser la reprise économique du pays. L’économe Napoléon entendait créer une valeur stable et forte au coeur d’une institution qui ne devait pas servir de caisse à l’État mais favoriser ses entreprises.
Un contexte politique et économique houleux
Le XVIIIe siècle ne fut pas bénéfique au papier monnaie. Échaudés par le scandale financier de John Law (1671 – 1729) en 1720, les Français eurent tout le loisir de confirmer leur aversion pour la monnaie imprimée lorsqu’on les berna une seconde fois en brandissant de juteux assignats révolutionnaires qui n’eurent pour autre effet qu’une inflation foudroyante et spectaculaire. Quelques-uns pourtant s’enrichirent. Parmi eux, le financier suisse Jean-Frédéric Perregaux (1744 – 1808). Précédant judicieusement la neutralité perpétuelle qui fera plus tard la fierté de sa Suisse natale, notre Helvète matois, qui frayait avant la Révolution avec les cercles aristocratiques mondains les plus courus, se garda d’afficher trop clairement ses opinions politiques lors du brutal changement de régime. Il préféra, comme beaucoup à cette époque, les adapter aux nécessités du moment. Bien lui en prit puisque les membres de la noblesse – farouchement attachés à leur tête – ne tardèrent par à fuir à l’étranger en prenant soin d’emporter avec eux une part considérable de la monnaie métallique de feu le royaume de France. Une crise financière frappa ainsi de plein fouet le peuple qui – n’ayant, lui, rien à craindre pour sa tête – avait néanmoins tout à craindre pour ses finances. Dans une conjoncture économique extrêmement défavorable, les faillites furent nombreuses et le commerce intérieur paralysé. Le Directoire s’avéra incapable de remédier au problème de façon pérenne et il fallut attendre le coup d’État de Brumaire (9-10 novembre 1799) pour voir émerger l’espoir d’une stabilité gouvernementale indispensable à un rétablissement économique du pays. C’est alors que notre fringuant banquier suisse se rapprocha de Bonaparte, le contexte et Napoléon lui souriant de concert.
Perregaux et quelques amis banquiers (Le Couteulx, Mallet et Perier) obtinrent d’abord le droit d’imprimer des billets de banque pour leur propre établissement nommé Caisse des Comptes Courants. L’objectif était de collecter l’épargne alors thésaurisée par les particuliers et d’augmenter la quantité de monnaie en circulation. La Banque de France fut créée le 18 janvier 1800 par décret et absorba rapidement la Caisse des Comptes Courants. La toute jeune Banque de France s’installa dès lors dans l’Hôtel de Toulouse, rue de la Vrillière à Paris évidemment.
Le premier Consul se voulait prudent et tint à garantir la stabilité et la fiabilité de cette nouvelle institution. Les premières émissions de billets furent donc garanties de trouver leur équivalent en quantité d’or de même valeur à toute personne qui le souhaitait. Il suffisait juste pour procéder à l’échange de se rendre rue de la Vrillière. Il en allait de la réputation de la banque et de son avenir, le premier Consul en avait parfaitement conscience. Les Français qui n’appréciaient rien de moins que de se faire pigeonner trois fois de suite se montrèrent d’abord extrêmement méfiants. Puis petit à petit, la confiance revint. Il faut le dire, l’implication personnelle, sonnante et trébuchante de Bonaparte n’y fut pas étrangère. Il plaça à la Banque une partie de ses fonds propres en gage de confiance et persuada – lourdement – sa famille et ses proches d’en faire autant. L’opération jointe aux capitaux apportés par de riches actionnaires permit de doter l’établissement d’un capital considérable et nécessaire pour asseoir son indispensable sérieux. Bientôt, la Banque de France fut l’unique banque autorisée à émettre des valeurs monétaires d’où son nom de « banque centrale ».
Cette dernière avait pour clients principaux les banques ordinaires dont l’activité consistait à prêter de l’argent aux particuliers et aux entreprises. Le principe s’appuyait donc sur la promesse de remboursement que l’emprunteur remettait à son banquier, promesse désignée sous le terme d’ « effet de commerce ». Parallèlement, les banques ordinaires avaient besoin d’argent pour accorder des prêts à de nouveaux clients. Elles devaient donc posséder suffisamment de réserves financières pour agir sans attendre que les clients emprunteurs ne remboursassent leurs dettes. Les banques ordinaires se tournaient donc vers la Banque de France et lui achetaient des billets en échange des effets de commerce dont elles disposaient. Naturellement, la quantité d’argent s’accrut dans le pays et permit de réveiller le commerce et l’industrie. À leur tour, ces derniers dégagèrent des profits qui ne manquèrent pas d’être imposés. Finalement, la valeur croissante des impôts prélevés par l’État permit au pays de s’enrichir et au premier Consul de financer son armée (et non pas ses campagnes).
Le franc germinal, une valeur économique fiable
Les premiers billets émis par la Banque de France furent d’une valeur telle qu’ils n’étaient pas à la portée de tous. Le billet de 500 francs représentait un peu plus d’une année de salaire d’un ouvrier et celui de 1000 équivalait, c’est bien logique, au double de travail. N’étant pas convertible en or ailleurs qu’à Paris, les billet restreignaient encore davantage le cercle des amateurs de liasses. Ces billets occupaient si bien les seules hautes affaires parisiennes qu’ils eurent dérouté n’importe quel commerçant s’il avait prit à un citoyen de tendre un de ces papiers monnaies pour régler un poulet (pas loin de devenir Marengo).
Par ailleurs, le souvenir de John Law et des assignats révolutionnaires restait tenace et les campagnes françaises préférèrent encore, pour leur commerce, les valeurs métalliques. La Révolution, par une loi du 15 août 1795 avait déjà décidé de remplacer la livre tournois par le « franc d’argent » mais sa seule volonté n’y suffit pas. En effet, la fougueuse et première République avait ça de commun avec Joséphine de Beauharnais (1763 – 1814) à la même époque qu’aucune ne disposait de suffisamment d’argent – métallique pour l’une, liquide pour l’autre – pour satisfaire ses besoins. Il fallut donc attendre le 7 germinal an XI (le 28 mars 1803) pour voir ressurgir ce franc qui emprunta à sa date de création le nom sous lequel il exercera jusqu’en 1928 à savoir, le franc « germinal ».
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Fabrication et sécurité des valeurs monétaires
Les deux premiers billets mis en circulation par la Banque de France représentaient des sommes considérables. Dès lors, tout devait être mis en œuvre pour empêcher du mieux possible l’apparition de faux. Le papier d’abord fut produit à la papeterie de Buges dans le Loiret mais on lui préféra rapidement celui de la papeterie du Marais à Jouy-sur-Morin. L’ajout d’un filigrane entre les deux feuilles de papier constituant chaque billet fut une des premières dispositions de sécurité. Puis vint la qualité du dessin pour lequel on fit appel à Charles Percier (1764 – 1838). Cet architecte néoclassique qui s’était distingué dans ses réalisations pour les financiers évoluant aux côtés du Premier Consul ne tarda pas à être chaudement recommandé à ce dernier qui loua longtemps ses talents. La gravure de la matrice fut confiée à Jean-Bertrand Andrieu (1761 – 1822) qui prit pour support une plaque d’acier afin de garantir un encrage toujours égal. Enfin, la gravure typographie revint à Firmin Didot (1764 – 1836) dont le nom est encore aujourd’hui bien connu des amateurs d’estampes et d’éditions anciennes. On ajouta au billet un talon, un timbre sec (gaufrage du papier obtenu à l’aide d’une presse) puis un timbre humide (une technique permettant d’imprimer simultanément au recto et au verso).
Quant à la symbolique des motifs choisis, on retrouve la forte influence de l’Empire romain (teintée du goût néoclassique né des fouilles d’Herculanum de Pompéi au XVIIIe siècle). Compas et équerre évoquent les outils des bâtisseurs usant de géométrie et d’architecture, tandis que le coq emblème de la France côtoie la balance de la Justice. Les divinités représentées sont celles des grands domaines considérés comme constitutifs d’un État fort au XIXe siècle : Vulcain pour l’industrie, Apollon pour les arts, Cérès pour l’agriculture et Poséidon pour l’empire colonial.
Les pièces de monnaie métalliques font l’objet des mêmes préoccupations, tant sécuritaires que symboliques. Les motifs républicains furent remplacés à l’avers des pièces par la tête nue de profil de Bonaparte – dont le graveur général Pierre-Joseph Tiolier (1763 – 1819) fit le portrait – accompagnée d’une légende « Bonaparte Premier Consul ». L’envers figurait une couronne d’olivier, la valeur faciale de la pièce et la légende « République française ». Bien sûr, il suffira d’une proclamation impériale pour que les motifs des pièces comme des billets soient modifiés encore une fois.
La création de la Banque de France eut un impact décisif sur l’économie du pays et son expansion impériale (bien qu’elle ne les finança pas, l’Empereur s’en défendit toujours). Le papier-monnaie se perfectionna, gagnant en sécurité et décourageant les faussaires. Pourtant, en 1959, la Banque de France émit un billet de 100 francs figurant Napoléon. Ce billet rendit célèbre le faussaire Czesław Jan Bojarski (1912 – 2003) qui se fit une spécialité de la falsification de ces « billets Bonaparte ». Sa maîtrise dans ce domaine est encore à ce jour incontestée et inégalée. Ces faux sont aujourd’hui de rares et onéreux objets de collection. Une ironie de l’histoire qui n’eut certainement pas échappée à l’Empereur s’il eut été vivant pour l’apprécier.
Le renouveau de l’Eau de Cologne
Le siècle précédent ne fut pas tendre avec l’eau de Cologne. Raillée par une parfumerie qui ne jurait que par des jus tapageurs, entêtants et sans relief, la discrète eau de Cologne fit preuve de patience jusqu’à retrouver ses lettres de noblesse aujourd’hui. Fragrance d’esthète, elle préfère accompagner la toilette plutôt que s’opposer au parfum.
Une eau moderne
La modernité de l’eau de Cologne réside paradoxalement dans son ancienneté. Depuis près de deux siècles, les salles de bains les plus chics lui attribuèrent une place de choix. La grande distribution, sans parvenir à s’en emparer, abîma aux yeux du grand public l’image élégante de cette eau fraîche. Conçue à partir d’ingrédients naturels, l’eau de Cologne rejoint nos souhaits modernes de revenir à plus de simplicité. Sus aux formules dont les « principes actifs » sont plus incompréhensibles qu’une équation de physique quantique ! Quelques agrumes, des plantes, un soupçon d’épices font la recette simple et pourtant raffinée d’une eau destinée bien plus au bien-être qu’à l’apparence. L’eau de Cologne se revendique d’un plaisir égoïste : elle accompagne la toilette, ce moment qui nous prépare à sortir de notre intimité, à s’aventurer au grand air. Sa fraîcheur solaire éveille les sens et le contact avec l’eau que l’on verse généreusement sur la peau n’est pas loin d’évoquer les jeux régressifs des batailles d’eau.
Alors que la parfumerie aime à différencier la femme de l’homme, l’eau de Cologne se moque bien des genres. Établissant la parité avant l’heure, elle nous séduit par ce flegme qui préfère la détente et l’hédonisme à la séduction genrée et calculatrice. Elle plait par sa simplicité qui ne manque pas de caractère, par sa pudeur pourtant espiègle. C’est d’ailleurs cette ingénuité qui permet d’offrir un bouquet de senteurs plein de relief. L’industrie du luxe ne s’y est pas trompée.
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Une eau raffinée
Il n’est plus une maison qui puisse faire l’impasse sur la création de sa propre eau de Cologne. Comme un curieux devient esthète au fur et à mesure qu’il découvre les subtilités d’un art, beaucoup découvrent l’élégance de la Cologne après s’être confrontés à l’impasse existant entre un parfum qui, d’un côté, nécessite d’être apprêté pour être porté et, de l’autre, l’odeur molle et sans charme du savon. N’est pas Marilyn Monroe qui veut et le seul Chanel n°5 ne convient pas à toutes les occasions. En revanche, c’est bien là la première qualité de l’eau de Cologne : sa légèreté et sa simplicité en font la fragrance idéale dans un quotidien où le parfum serait trop prétentieux. Lors de moments de détente, au sortir d’une activité sportive ou simplement par plaisir du contact avec elle, cette eau laisse sur la peau une odeur de propre qui résonne avec légèreté.
Les notes les plus fraîches exhalent lorsque l’on s’en asperge et sa pudeur laisse ce sillage en retrait une fois la toilette terminée. La Cologne n’entend pas parfumer, elle rayonne un instant avec élégance mais connaît la valeur de la discrétion. Napoléon qui s’en aspergeait copieusement ne lui reniait pas cette qualité, lui qui avait en horreur les parfums capiteux. L’eau de Cologne l’éveillait sans le distraire d’effluves entêtants. Fraîche sans être banale, la Cologne incarne un idéal de modernité où la sophistication ne le dispute pas à l’ingénuité.
L'Eau de Cologne Napoléon, un cadeau impérial pour la fête des pères
Écho unique de l’histoire, l’eau de Cologne de Napoléon à Sainte-Hélène fascine et séduit par la modernité de sa fragrance. À l’occasion de la fête des pères, offrez le seul souvenir olfactif que l’on puisse avoir conservé de l’Empereur.
Une recette authentique
L’histoire offre rarement un souvenir aussi précieux que celui-ci : cette eau unique accompagna Napoléon jusqu’à ses derniers jours et révèle une dimension intime et confidentielle méconnue de ce personnage historique. Très attentif à son hygiène personnelle, Napoléon n’eut cependant jamais goût pour le parfum entêtant auquel il préféra toujours l’eau de Cologne dont il fit un usage qu’on qualifiera de pantagruélique. L’Empereur – que l’on connaît modéré en bien des domaines – ne regardait pas à la dépense dans le cas de ces rouleaux dont il ne se lassa jamais. Déchu et éloigné du monde, sur cette minuscule île de Sainte-Hélène, les réserves de sa précieuse cologne s’amenuisèrent rapidement. Le Mamelouk Ali, fidèle de l’Empereur l’ayant suivi en exil, recréa avec force de patience l’eau de Cologne si chère à Napoléon. La recette unique puise dans les ressources de l’île au climat étonnement méditerranéen, rappelant les arômes de la Corse. Jusqu’à ses derniers jours, Bonaparte ne fit confiance qu’à cette eau qui était pour lui le meilleur des remèdes.
Le parfum de la Corse
Pourquoi Napoléon s’enticha-t-il de cette eau au point qu’elle lui devienne indispensable ? Il suffit de s’en asperger pour le comprendre. La fraîcheur piquante des notes hespéridés du cédrat, de la bergamote et de l’orange, la douceur du parfum de la bruyère chauffée par le soleil : tout dans ce flacon évoque le maquis corse. Bonaparte, éternel nostalgique de son enfance insulaire entre France et Italie, retrouvait sans doute dans l’eau de Cologne le parfum de son enfance. La lointaine Sainte-Hélène eut au moins la grâce d’offrir à l’Empereur déchu les ingrédients nécessaires pour recréer cet indispensable de sa vie quotidienne, ce souvenir olfactif exceptionnel qui nous est parvenu.
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Discrète élégance
Obtenue grâce à la recette retrouvée du Mamelouk Ali, cette eau de Cologne fabriquée en France est produite à partir de d’huiles essentielles naturelles. Alors que le parfum signe une allure, l’eau de Cologne anoblit le quotidien. D’un geste simple, elle éveille les sens au sortir de la douche et laisse quelques instants un sillage raffiné et discret. Sa simplicité racée a su séduire les parfumeurs de luxe et l’eau de Cologne ne se cantonne plus à la salle de bain. Après une séance de sport ou un après-midi à la plage, cette fragrance incarne un idéal de modernité où la simplicité s’accorde avec légèreté à la sophistication.
Les étrennes à Sainte-Hélène
La première moitié du XIXe siècle ignore encore tout des festivités de Noël sans pour autant être épargnée – du moins dans les classes sociales les plus aisées – par la distribution de cadeaux à l’occasion de la nouvelle année. Cette tradition des étrennes suit aussi Napoléon sous les latitudes de Sainte Hélène. Offrir des étrennes signifiait maintenir son rang, un respect de l’étiquette plutôt qu’une nécessité pour l’Empereur qui ne s’avouait pas déchu.
La tradition des étrennes à Sainte-Hélène.
Fraîchement débarqué à Sainte-Hélène le 17 octobre 1815, Napoléon n’arrive pas seul. Son petit entourage a connu les grandeurs de l’Empire ; il est certainement inenvisageable pour Bonaparte de les rendre témoins d’une déchéance quelconque de sa personne. Dès sa prise de possession de la résidence de Longwood, l’Empereur rétabli l’étiquette stricte qui régissait la vie aux palais des Tuileries. Or cette étiquette que l’on pense d’abord contraignante pour son entourage l’était tout autant pour lui. En la faisant appliquer à la règle, Napoléon était parfaitement conscient des devoirs qu’elle lui imposerait pendant son exil. Le 10 décembre 1815, jour de l’emménagement à Longwood, l’imminence des étrennes ne se fait que trop sentir. Mais la perfide Albion semblait bien décider à sournoisement déranger cette tradition en choisissant pour terre d’exil cette Sainte-Hélène aride sur laquelle aucun orfèvre ou joaillier, artiste ou tapissier n’avait jamais eu l’heureuse idée de s’établir. C’est donc dans ses biens personnels et les précieux reliquats de son fastueux passé que Napoléon puisera pour honorer sa petite cour.
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Les cadeaux offerts par Napoléon à Sainte-Hélène.
On ne connaît malheureusement pas précisément les meubles et objets emportés précipitamment par Napoléon et ses compagnons d’exil lors du départ pour Sainte-Hélène. Et pour cause, la plupart furent purement et simplement volés par les fidèles de l’Empereur dans l’unique but de lui plaire. Les journaux et archives de ceux qui eurent l’insigne honneur d’être admis en présence de Napoléon pendant son exil rapportent quelques-uns des cadeaux qu’il fit à l’occasion des étrennes. Emmanuel de Las Cases (1766 – 1842) note dans son journal à la date du 30 décembre 1815 qu’il s’est vu offrir par l’Empereur « un petit cadeau, bien léger à la vérité », d’après Napoléon lui-même, consistant en un traitement mensuel prélevé sur une somme dérobée à la vigilance anglaise. En janvier 1816 Bonaparte offrit à Jane et Betsy Balcombe, les filles de William Balcombe (1777 – 1829), agent de la Compagnie des Indes chez qui il résida à son arrivée, deux tasses du cabaret égyptien, des pièces issues du service en porcelaine de Sèvres auquel l’Empereur tenait tant qu’il refusait qu’on s’en servit au quotidien de peur de le casser.
Le service dit des « quartiers généraux » – qui ne connut aucun met sainte-hélénois pour les mêmes raisons que celles qui proscrivaient l’utilisation du cabaret égyptien – fut également amputé de certaines pièces l’année suivante lorsque pour leurs étrennes, Napoléon offrit à Madame de Montholon et Madame Bertrand une assiette chacune du précieux service. Ce même mois de janvier 1817, le baron Gourgaud (1783 – 1852) rapporte que l’Empereur offrit des objets plus personnels : à Madame Bertrand une boite à bonbons jadis offerte par Pauline Bonaparte et à Gourgaud une lorgnette que l’Empereur tenait de la reine de Naples, sa plus jeune sœur. À Bertrand il offrit un jeu d’échecs puis disputa avec lui une partie après la distribution des cadeaux. En janvier 1818, les étrennes se réduisent à des bonbons contredisant les prédictions très aventureuses de Madame Bertrand qui s’attendait à des « cadeaux somptueux » dont on peine à comprendre d’où lui venait cette idée au vu de la situation géographique de l’île. Ces témoignages de moments joyeux illuminent l’idée souvent terne que chacun se fait de l’exil de Bonaparte. Les usages chers à l’Empereur demeurent malgré les restrictions. L’exil se colore ainsi de ces moments charmants et bourgeois propres à rendre le quotidien plus supportable, découvrant le visage intime d’un Bonaparte aussi impérial qu’attentionné.
Les emblèmes de Napoléon Bonaparte : simplicité et érudition
Napoléon Ier forge ses propres emblèmes loin de ceux trop connotés de l’Ancien Régime. Le jeune Empereur entend offrir de nouvelles perspectives à l’histoire de France dont les valeurs sont désormais portées par des symboles lisibles et historiques forts.
L’influence antique.
Déjà le consul Bonaparte (1799 – 1804) affichait, dans le choix de son mobilier et de ses objets d’art, une assurance qui étayait une pensée plus vaste en matière de volonté politique. Une fois Empereur, ses architectes et décorateurs Percier (1764 – 1838) et Fontaine (1762 – 1853) se chargèrent d’imposer un style officiel s’abreuvant aux goûts de l’Antiquité romaine. Meubles massifs d’acajou et de marbre évoquaient les temples antiques, la sobriété luxueuse des bronzes dorés empruntaient aux décors de la Rome républicaine tandis que les couleurs jaune d’or, vert, cramoisi, violet et pourpre puisaient aux fresques récemment découvertes d’Herculanum et de Pompéi. C’est à l’aube de son couronnement que se posa l’épineux problème des futurs emblèmes impériaux. Chacun y alla de son animal ; les moins chauvins proposèrent le lion ou l’éléphant tandis que les plus patriotes portèrent leur dévolu sur le coq. D’autres encore, plus bucoliques sans doute, suggéraient le chêne. Alors que le gallinacé sembla un temps l’emporter, il fut évincé par le lion, lui-même rayé par la main de Napoléon qui lui préféra l’aigle. L’aigle (que l’héraldique décrète féminine lorsqu’elle désigne le rapace des blasons) était aussi l’emblème de la Rome impériale et associait ainsi élégamment la haute antiquité et l’héraldique traditionnelle à travers l’évocation de l’aigle carolingienne.
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Des symboles clairs et érudits.
Si l’aigle est emblématique du règne de l’Empereur, certains symboles évoquent plus directement Bonaparte. En premier lieu citons la couronne de laurier superbement mise en scène lors du sacre de l’Empereur où la tête de ce dernier, laurée de feuilles d’or – œuvre du grand orfèvre Biennais (1764 – 1843) – donnait à ce moment historique un caractère grandiose hérité du panache antique.
Car ce mythologique attribut d’Apollon célébrait, à Rome, aussi bien les poètes que les chefs de guerre victorieux : le feuillage toujours vert symbolisait l’immortalité acquise par la victoire. Récompense honorifique et prestigieuse attribuée aux grands personnages militaires et, par conséquent, à l’Empereur, la couronne de laurier n’a jamais perdu de sa superbe et parvint au XIXe siècle avec la même fraîcheur, enrichie seulement de la gloire idéalisée de l’Empire romain.
Les abeilles eurent quant à elles le privilège d’être reconnues pour leur organisation, leur travail acharné et leur capacité à se sacrifier pour l’intérêt commun de leur ruche. Rien de moins qu’un symbole patriotique idéal, d’autant qu’elles tenaient de l’Église une connotation divine (elles portent la parole divine et la sagesse à Saint Ambroise et Jean Chrysostome). Par ailleurs, on cru (et ce jusqu’à récemment) que les insectes d’or retrouvés en 1653 dans la tombe de Childéric Ier– le trop peu célèbre fondateur de la dynastie mérovingienne et père de Clovis – étaient des abeilles. Or il s’avère que ces dernières étaient en réalité des cigales. Qu’importe, les abeilles de Childéric furent considérées comme le premier emblème des souverains de France. Il n’en fallait pas plus pour asseoir notre Empereur dans la continuité naturelle du pouvoir régnant sans vexer le pouvoir religieux. Ainsi lié à une Antiquité idéalisée et à une histoire sinon entomologique du moins française, Napoléon Bonaparte n’avait qu’à graver son nom dans l’histoire. Ce qu’il fit littéralement. Son chiffre (la lettre N) fut en effet sculpté sur les façades du Louvre. Néanmoins, les revanchards Bourbons, une fois revenus sur le trône, s’empressèrent de marteler et de limer la lettre impériale. Ainsi, la plupart des « N » qui ornent aujourd’hui le Louvre sont ceux de Napoléon III et non ceux de son empereur d’oncle. Enfin, dernier symbole et non des moindres, le « N » couronné que l’on retrouve sur les pièces de monnaie de l’époque. Cette couronne aujourd’hui conservée au Louvre fut seulement utilisée le jour du sacre. Appelée Couronne de Charlemagne elle présente une allure médiévale opportune avec ses huit demi-arches d’or ornées de camées ; un globe surmonté d’une croix achève l’œuvre dessinée par Percier. Placée au-dessus de la tête de l’Empereur ceinte de lauriers, la couronne lia durant la cérémonie gloire antique, histoire et patriotisme.
Cet ensemble de symboles opéra un discours simple, clair et d’autant plus puissant que la juxtaposition de ses éléments évoque instantanément, et encore aujourd’hui, l’Empereur Napoléon Ier.
La maison de Longwood, résidence à Sainte-Hélène de l'Empereur Napoléon 1er
Lorsque Napoléon Bonaparte parvint le 17 octobre 1815 sur son lieu d’exil, sa résidence de Sainte-Hélène n’était pas encore prête. Il emménagea à Longwood deux mois plus tard le 10 décembre 1815 et y demeura jusqu’à sa mort le 5 mai 1821. Entre mobilier piteux et souvenirs fastes du passé, l’intérieur de ce Longwood délabré fut à la fois prison irrespectueuse et berceau de la naissance d’un mythe.
Entre respect et amertume : la répugnance britannique à tenir ses engagements envers le célèbre prisonnier.
Longwood House est dès l’arrivée de Napoléon une méchante maison mal bâtie où l’eau s’infiltre partout. Durant les 68 mois où Bonaparte y est confiné, nombre de meubles pourrissant sur place furent brûlés, réparés ou refaits. Loin des vastes et confortables palais de Saint-Cloud ou des Tuileries, cette maison de 150 m2 fut, de l’avis de tous, impropre à un général et encore moins à un Empereur aussi déchu soit-il. Longwood se répartissait en une antichambre qui devint dès 1816 une salle de billard (Napoléon l’employait néanmoins comme « salon topographique »), un salon, une salle à manger, un cabinet de travail, une chambre à coucher, une bibliothèque et une salle de bain avec baignoire de cuivre. Les Anglais, tenus d’assurer les dépenses liées à la détention de Bonaparte, ne brillèrent pas ici par leur fair play. En plus de la décrépitude crasse de Longwood, l’observateur attentif notera chez Sir George Cockburn (1772 – 1853) – chargé de trouver tout le mobilier nécessaire – un certain ressentiment envers notre Corse puisqu’il acquit à bas prix auprès des locaux un mobilier disparate qu’eux-mêmes tenaient de leurs marchandages avec les navires britanniques, hollandais, portugais et américains de passage sur l’île pour ravitaillement. Quelques meubles de meilleure qualité prêtés par l’East India Compagny vinrent enrichir l’intérieur de la demeure ainsi que certains de ceux réalisés spécialement par George Bullock (1778 – 1818), ébéniste londonien, initialement destinés à meubler Longwood New House, résidence en construction dans laquelle n’emménagera jamais l’Empereur.
Ce délabrement honteux aux yeux des Français comme à ceux de plusieurs visiteurs anglais trouva néanmoins un adversaire de taille dans l’Étiquette impériale stricte appliquée dans tout le domaine, dans le faste des meubles et objets rapportés de France et dans la dignité même de l’impérial prisonnier.
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Le luxe des souvenirs du règne, un terrain fertile à la naissance du mythe napoléonien.
Sir Hudson Lowe (1769 – 1844), gouverneur de l’île à partir de 1816, fut le premier offusqué de ce que le rang du général n’ait pas été respecté dans l’ameublement même de Longwood. En guise de réparation, il offrit à Bonaparte un large billard et deux importants globes, l’un terrestre, l’autre céleste. Puis, sur les meubles de bois ordinaires, sur les consoles sobres en acajou, les reliques du règne napoléonien participèrent à camoufler le manquement britannique. Buste en marbre diaphane du roi de Rome, pendule étincelante en bronze doré et émail, sculpture majestueuse d’aigle en argent, épée luxueuse en or et acier damasquinée et œuvre unique de Biennais (1764 – 1843) prêtent leur magnificence à l’embellissement d’un quotidien rythmé par la rédaction des mémoires de Napoléon.
Dans les usages, le service particulier de l’Empereur réalisé dans la plus fine porcelaine de la manufacture impériale de Sèvres, le verrerie élégante de cristal ou encore des pièces du service à café dit « Cabaret égyptien », également de la manufacture de Sèvres et que Napoléon appréciait tant, permettaient d’asseoir la dignité d’un homme qui entendit rester souverain jusqu’à son dernier souffle. Témoins de sa gloire passée et de son mythe à naître, son lit de campagne, « ce vieil ami qu’il préférait à tout autre » des dires de Louis-Joseph Marchand (1791 – 1876), lit dans lequel il rendit l’âme, est toujours exposé à Longwood tandis que son athénienne adorée est aujourd’hui présentée au Louvre.
L’athénienne de Napoléon, un si doux larcin
Alors que la France quitte l’Ancien Régime pour se tourner vers un XIXe siècle plein de promesses, les habitudes vis-à-vis de l’hygiène changent doucement. L’eau prend une nouvelle place au centre des pratiques quotidiennes. Vases, bassins et athéniennes la subliment faisant d’elle un symbole de fraîcheur, de pureté et de simplicité essentiel aux personnes les plus raffinées.
Un usage simple dans le plus élégant des écrins
On connaît le soin méticuleux que Napoléon portait à son hygiène personnelle. À la vie comme à la guerre il favorisait l’efficacité sans perdre de vue l’importance de l’étiquette : si sa capacité à vivre en soldat le rendait populaire à ses troupes, son attachement aux objets du pouvoir faisait de lui un homme politique averti. Cette athénienne, bassin d’ablutions de luxe et objet pratique, remplissait admirablement ces deux exigences d’efficience et de représentation. Il la trouva tellement à son goût que, depuis les Tuileries à l’époque du Consulat jusqu’à Sainte-Hélène, l’impériale athénienne suivra l’Empereur des sommets à sa chute. Sur des dessins de Charles Percier (1764 – 1838), le tabletier Martin-Guillaume Biennais (1764 – 1843) mis tout son talent au service de ce mobilier de luxe fait de bronze, d’argent et d’if. D’élégants cygnes en bronze doré déploient des ailes majestueuses pour supporter un bassin en argent ciselé de motifs de roseaux.
L’aiguière en argent servant à verser l’eau pour la toilette de Napoléon repose sur la tablette ornée en ses angles de dauphins. Tandis que de fines abeilles – emblèmes de l’Empereur – en bronze doré ornent l’athénienne, les dauphins, roseaux et cygnes évoquent le monde aquatique, la fraîcheur des lacs et des rivières métaphore poétique de l’usage dévolu à ce meuble.
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Un si doux larcin
Dans ses Mémoires, Louis-Joseph-Narcisse Marchand (1791-1873), premier valet de chambre de Napoléon narre comment, à l’issu des Cent-Jours (juin 1815), il déroba l’athénienne au Palais de l’Élysée – meuble qui aurait été immanquablement confisqué – avant que l’Empereur déchu ne soit exilé à Sainte-Hélène. Marchand témoigne : « L’Empereur avait loué ce meuble dans son usage, je savais de quelle privation il serait pour lui, il aimait après sa barbe, se mettre la figure dans beaucoup d’eau […] dans la pensée de lui être agréable, je le fis porter à ma voiture et je le couvris de mon manteau pour ne point éveiller l’attention des passants de Paris et sur la route. ».
Nul doute que Napoléon loua le larcin prévenant et délicat de son fidèle valet ! L’âpreté de la vie insulaire fut certainement adoucie par l’usage que fit Bonaparte de ce magnifique bassin tripode, usage qu’il accompagnait systématiquement, nous le savons, de l’Eau de Cologne qu’il affectionnait tant et dont il faisait un usage pour le moins gargantuesque.
L’athénienne aujourd’hui conservée au Musée du Louvre fut un des rares biens pour lequel Napoléon était pris d’affection. Il en témoigne dans son testament où « l’inventaire de [ses] effets que Marchand gardera pour remettre à [son] fils » précise qu’il lègue au Roi de Rome (1811 – 1832) « [son] lavabo, son pot à eau et son pied ».
































