Parmi les stations de métro de Paris intramuros, certaines sont célèbres dans le monde entier et raisonnent de la grande Histoire de la France. On lit ainsi en filigrane sur les cartes parisiennes, les grands moments de l’épopée napoléonienne.  

La fierté de la Grande Armée

Essaimés sur presque toutes les lignes du métro parisien, les grands noms militaires qui forgèrent la réputation de la Grande Armée dévoilent l’importance de l’Empire napoléonien dans l’histoire de France.  Sur la ligne 6, la station Cambronne rend hommage à celui qu’on dit encore l’auteur du fameux « mot ». Pierre Cambronne (1770 – 1842), brillant général de brigade puis Major de la Garde impériale en 1814, fut un des plus fidèles de Napoléon. À ses côtés à l’Île d’Elbe, il impressionna les Anglais à Waterloo (juin 1815) par une résistance déterminée bien que désespérée, répondant avec force à leur sommation de se rendre par le fameux mot qui le rendit célèbre : un « Merde ! » exaspéré dont la concision fut unanimement appréciée dans l’un et l’autre des camps. Mourant sur le champs de bataille, il fut fait prisonnier par les Britanniques puis libéré. Il mourra 27 ans plus tard à Nantes. Victor Hugo (1802 – 1885), dont l’aversion pour le Second Empire n’était un secret pour personne, se souvint du fameux mot et s’en servit habilement, estimant que « Cambronne à Waterloo a enterré le premier Empire dans un mot où est né le second. » Une remarque qui, sans doute, ne raffermit pas les liens déjà lâches entre Napoléon III et l’écrivain.

À quelques stations de Cambronne, le général Jean-Baptiste Kléber (1753 – 1800) a lui aussi donné son nom à un arrêt de la ligne 6. Bien qu’il s’illustra tout autant durant les guerres de la Révolution française, son indépendance d’esprit ne lui permit pas d’accéder à un commandement en chef. En 1797, Bonaparte l’emmène avec lui en Égypte mais repartira sans son général à qui il donna avant son départ le commandement suprême de l’armée d’Égypte. Laissé ainsi dans une situation délicate face aux Anglais, Kléber dut signer la convention D’El Arich en janvier 1800. Cette dernière bafouée par l’amiral Keith, le général reprit les hostilités et gagna brillamment la bataille d’Heliopolis en mars avant d’être assassiné au Caire en 1800. Ses cendres reposent aujourd’hui place Kléber, à Strasbourg. 

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Sculpture en bronze de Pierre Cambronne par Jean Debay, 1848 et installée cours Cambronne à Nantes.

Cette promenade dans le métro parisien amène étonnement à relever la couardise anglaise qui finança la bataille d’Austerlitz ou Bataille des Trois Empereurs sans y participer. Car la station Gare d’Austerlitz, ligne 10, porte le souvenir de cette victoire napoléonienne éclatante, dont le nom fut écarter par délicatesse du chemin de l’Eurostar quand nos voisins britanniques taquins ne nous épargnaient pas, il y a encore quelques années, un accueil à Waterloo. Le 2 décembre 1805, les empereurs François II et Alexandre Ier affrontaient le stratège empereur français au sud de la Moravie. Le génie tactique de Napoléon s’y déploya tout entier depuis les chemins de campagne jusqu’au champ de bataille, marquant l’histoire durablement : aujourd’hui encore ce chef d’œuvre guerrier est enseigné dans les écoles militaires. Sur la même ligne, nous retrouvons le souvenir de Molitor (1770 – 1849), Gabriel de son prénom, qui participa à de nombreuses campagnes napoléoniennes après avoir fait ses armes pendant la Révolution puis resta fidèle à l’Empereur qu’il rejoignit pendant les Cent-Jours. En 1809, il s’était distingué à la bataille de Wagram (dont une station de la ligne 3 porte le souvenir) tout comme Christophe de Michel du Roc dit Duroc (1772 – 1813) dont le nom marque également un arrêt de la ligne 10. 

Ce grand maréchal du palais de Napoléon Ier inscrivit son nom dans la campagne d’Italie mais ses qualités de diplomate lui valurent bien davantage que des honneurs militaires en obtenant la confiance pleine et entière de Bonaparte. Courageux, intelligent et loyal, Duroc fut personnellement chargé de la sûreté de l’Empereur sans pour autant renoncer à des missions importantes que Napoléon Ier ne voulait voir traiter que par lui seul. À sa mort, des honneurs extraordinaires lui furent rendus et en 1815, l’Empereur déchu ne choisit rien d’autre que le nom de Duroc pour se rendre à Rochefort depuis la Malmaison. Aujourd’hui, les cendres de cet homme brillant, dont le nom est gravé sur l’Arc de Triomphe, reposent aux côtés de Bonaparte aux Invalides. 

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Sculpture du général Duroc sur l'aile Rohan-Rivoli du Louvre. © EUtouring

Sur la ligne 9, l’arrêt Iéna nous porte en Allemagne, souvenir de la bataille du 14 octobre 1806 qui opposa les Français aux Prussiens. La campagne d’Allemagne avait pourtant débuté bien avant et le 7 octobre 1805 à Donauwörth, presqu’un an jour pour jour avant Iéna, Rémy Isidore Joseph Exelmans (1775 – 1852), dit « Le lion de Rocquencourt », se voyait honoré de porter à l’Empereur les drapeaux pris à l’ennemi. L’accueil qui lui fut réservé le marqua longtemps car Bonaparte fut élogieux : « Je sais qu’on n’est pas plus brave que toi : je te fais officier de la Légion d’honneur. » Qu’on ne s’y trompe pas, le tutoiement ici valait bien davantage que le compliment. Napoléon Ier, après cela, le tutoya toujours. Une station porte aujourd’hui le nom de celui qui remporta, juste après l’abdication de l’Empereur, la dernière victoire française des guerres napoléoniennes. Eut-il, notre Exelmans, obtenu ces mêmes honneurs s’il ne s’était dans sa jeunesse lié d’amitié à Joachim Murat ? 

Ce même Murat qui aux yeux de l’Empereur était à la cavalerie ce que Drouot était à l’artillerie. Antoine Drouot (1774 – 1847), dont le nom marqua l’Histoire autant que le marché de l’art, se trouve aujourd’hui en compagnie de Richelieu : ligne 9, la station Richelieu-Drouot ne s’embarrasse pas des caractères. L’ambitieux duc de Richelieu, habile stratège, retors et intransigeant s’entend-il avec ce général napoléonien ? Si l’on en croit la description qu’en donnait Napoléon, sûrement la cohabition n’est pas aisée… 

« Drouot est un des hommes les plus vertueux et des plus modestes qu’il y eut en France, quoiqu’il fut doué de rares talents. Drouot était un homme […] qui vivait aussi satisfait, pour ce qui le concernait personnellement, avec 40 sous par jour que s’il jouissait des revenus d’un souverain. Charitable et religieux, sa morale, sa probité et sa simplicité eussent été honorées dans le siècle du plus rigide républicanisme. »

Ironiquement, nous doutons pouvoir attribuer au célèbre cardinal les qualités de l’humble général tandis que celles qui caractérisent d’ordinaire un général, le cardinal les posséda toutes.

Sur la ligne 4, les stations Mouton-Duvernet et Morlan rendent hommage à deux militaires pleinement engagés dans les campagnes napoléoniennes. Régis Barthélemy Mouton-Duvernet (1770 – 1816) se distingua à Arcole lors de la campagne d’Italie tandis que François-Louis de Morlan dit Morland (1771 – 1805) mourut des suites de ses blessures mortelles à la bataille d’Austerlitz. Son nom figure aujourd’hui sur l’Arc de Triomphe.

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L'édicule d'Hector Guimard de la station Mouton-Duvernet à Paris.

Certaines stations du métro parisien n’honorent pas le souvenir de grands personnages mais ceux de lieux mémorables. Ainsi en est-il de la station Louvre-Rivoli, ligne 1, qui dessert le palais côté de la rue de Rivoli, baptisée en l’honneur de la victoire de Napoléon Bonaparte sur l’Autriche le 14 janvier 1797. De la même manière, la station Campo-Formio de la ligne 5, célèbre le traité signé le 18 octobre 1797 dans la ville éponyme de Vénétie. Ce traité clôturait une première fois la guerre franco-autrichienne et permettait à la France d’obtenir de l’Autriche la Belgique, une partie de la rive gauche du Rhin, les îles Ioniennes et la reconnaissance de la République Cisalpine.

Ligne 7 et 14, c’est aux lieux mythiques de la campagne d’Égypte que renvoie la station Pyramides. Avec ce sens inné de la propagande qui le caractérisa toujours, Napoléon baptisa du nom de « Bataille des Pyramides » la bataille du 21 juillet 1798 qui l’opposa aux forces mamelouks. Un nom bien romantique puisque le champ de bataille n’avait en commun avec les vénérables monuments millénaires que d’être extrêmement poussiéreux. 

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Station de métro Pyramides, exceptionnellement décorée à l'occasion du 1er avril 2019.

La station Simplon ligne 4 nous transporte quant à elle bien loin de l’animation parisienne pour nous rappeler le calme et l’air vivifiant des Alpes suisses, où Napoléon fit construire dans le col de Simplon d’abord une route puis un hospice dont la première pierre fut posée en 1813. 

Des noms de militaires glorieux marquent encore les stations Pelleport (ligne 3 bis), Pernety (ligne 13) ou Lecourbe (ligne 6). Le général d’Empire Pierre de Pelleport (1773 – 1855) fut de la première promotion de la Légion d’honneur et participa dans la Grande Armée à la campagne d’Autriche, d’Allemagne et de Pologne, respectivement en 1805, 1806 et 1807. 

Joseph Marie de Pernety (1766 – 1856) fut admiré pour sa bravoure durant la campagne d’Italie, fut de toutes les grandes batailles napoléoniennes et le maréchal d’Empire Masséna ne manqua pas de le complimenter publiquement lors de la bataille de Wagram. 

Claude Lecourbe (1759 – 1815) se distingua également avec talent, mais pas suffisamment pour faire oublier son amitié avec Jean Victor Marie Moreau (1763 – 1813), accusé de conspirer avec son épouse contre la montée au pouvoir de Bonaparte. Lecourbe qui eut le courage (ou la bêtise) de prendre position pour son ami fut exilé dans le Jura. Lorsque vint le tour pour Napoléon Ier de goûter à l’amertume de l’exil, il se souvint de Lecourbe « Très brave, il eut été un excellent Maréchal de France ; il avait reçu de la nature toutes les qualités nécessaires pour être un excellent général. »

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Buste en plâtre présumé d'Armand de Caulaincourt en uniforme de général de division, grand aigle de la Légion d’honneur. Daté de 1813 et signé F.P. GOBLET. École française du XIXe siècle. Provenance: - Collection du Maréchal Soult - Château de Montchevreuil, collection de la marquise de Balleroy © Osenat

N’oublions pas Armand Augustin Louis, cinquième marquis de Caulaincourt (1773 – 1827) qui baptisa, ligne 12, la moitié du nom d’une station, partageant l’autre moitié avec le fameux naturaliste français Jean-Baptiste Lamarck (1744 – 1829). Si les deux hommes se sont un jour rencontrés, croisés peut-être, ils étaient sans doute loin d’imaginer qu’à peine un siècle plus tard ils tâteraient de la délicieuse promiscuité des métros parisiens. Caulaincourt eut néanmoins l’occasion sa vie durant de goûter le grand air puisqu’il fut ambassadeur de Russie à une époque où le voyage était malaisé. Lors du retour de la campagne de Russie, il fut d’ailleurs le confident de traineau de Bonaparte, aventure de 14 jours et 14 nuits dont naquit son fameux récit En traineau avec l’Empereur. Son habileté dans l’art de la diplomatie lui permit d’obtenir la confiance de l’Empereur Napoléon Ier en même temps que celle du tsar Alexandre Ier. Cet esprit fin, « homme de cœur et de droiture » d’après Bonaparte lui-même, avait-il de l’humour ? Pas autant sans doute que Victor Faÿ de Latour-Maubourg (1768 – 1850) dont le nom orne une station de la ligne 8. Mousquetaire à 14 ans, commandant du premier corps de cavalerie à 45, il eut sa cuisse arrachée par un boulet de canon lors de la bataille de Leipzig en octobre 1813. Son domestique plus sensible aux pertes physiques que ne l’était vraisemblablement son maître, pleura à chaudes larmes la jambe disparue quand Latour-Maubourg, qui connaissait sans doute les vertus du positivisme, adressa à son valet une remarque restée célèbre :

Console-toi mon ami, le mal n’est pas si grand pour toi… Après tout tu n’auras plus qu’une botte à cirer !

Les savants au service de l’Empereur

On sait Bonaparte méfiant des médecins, allant même jusqu’à douter – un peu par provocation – de l’utilité de la médecine. Sur la ligne 6 du métro parisien pourtant, une station porte le nom de celui qui parvint à convaincre le Premier consul puis l’Empereur de l’utilité de cette discipline. La station Corvisart rend ainsi hommage à Jean-Nicolas Corvisart (1755 – 1821), brillant médecin au caractère réfléchi qui fit la rencontre de Napoléon en juillet 1801 avant de rapidement devenir son médecin personnel. Une fois l’Empire instauré, le médecin ne fut plus seulement chargé de veiller à la santé de la famille impériale mais également d’autres missions ayant trait à la gestion des épidémies et des maladies contagieuses. L’homme par ailleurs goûtait peu les ors de la cour et  tenait à son autonomie, raison pour laquelle il refusa un logement aux Tuileries. Son efficacité, son objectivité et sa volonté de soigner au mieux surpassaient son respect de l’étiquette, lui qui n’hésita jamais à rabrouer fermement l’Empereur qui ne respectait pas assez sérieusement ses prescriptions. À l’inverse, la boulimie de pilules de Joséphine l’engagea à lui administrer régulièrement des placebo afin de calmer ses angoisses sans mettre sa santé en danger. Fidèle à l’Empereur comme un médecin de famille à ses patients de toujours, Corvisart accompagna Bonaparte sur plusieurs campagnes et redevint son médecin personnel pendant les Cent-Jours mais son âge le contraignit à cesser d’exercer après Waterloo. Il fut malgré tout l’un des derniers à saluer l’Empereur avant son départ pour Rochefort. L’homme avait réussi là où sa discipline avait échouée, du dire même de Napoléon qui déclara : « Je ne crois pas en la médecine, mais je crois en Corvisart. »

Gaspard Monge (1746 – 1818) se rencontre quant à lui ligne 7. Ce scientifique de renom marqua l’histoire des mathématiques s’intéressant à la géométrie, l’analyse infinitésimale et la géométrie analytique. Également professeur de physique et de topographie, Monge fut de ces savants qui produisirent une œuvre foisonnante, importante et tout à fait originale. Ses travaux concernant les fortifications sont depuis connus sous le nom de géométrie descriptive. Nommé Ministre de la Marine pendant la Révolution, ses connaissances et sa science concernant les armes de guerres étaient immenses. Passées les affres de la Révolution, il devint professeur à l’École normale supérieure et bientôt un des fondateurs de l’École Polytechnique. En mai 1796, il fut nommé membre de la commission chargée de se rendre en Italie pour récupérer « les monuments d’art et de science que les traités de paix accordent aux armées françaises victorieuses ». À cette occasion il fit la connaissance de Bonaparte, alors général. Les deux hommes s’apprécièrent et sympathisèrent jusqu’à devenir des amis proches. Monge fut d’ailleurs invité au sacre de Napoléon Ier à Notre-Dame et l’exil à Sainte-Hélène n’empêcha pas Bonaparte de se souvenir de manière élogieuse de son ami qui ne fut pas moins admiré par Joséphine. Cet homme de science aux travaux considérables fut d’abord inhumé au cimetière du Père-Lachaise avant que ses cendres ne soient transportées au Panthéon.

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Édicule particulier de la station de métro Monge à Paris (rue de Navarre).

Enfin, ligne 5, arrêtons nous à la station Breguet-Sabin, non pas pour rendre hommage à la ponctualité des métros parisiens, mais bien à celui qui permit qu’on la remarque : l’horloger et physicien Abraham-Louis Breguet (1747 – 1823). Célèbre inventeur des montres à remontoir automatique, on lui doit le perfectionnement des montres perpétuelles qui profitaient des mouvements de la marche à pied pour se remonter sans aucune manipulation. Napoléon Bonaparte fut l’un de ses plus fidèles clients. Doit-on s’en étonner, lui qui ne supportait pas de perdre son temps, il est bien naturel qu’il apprécia les instruments capables de le mesurer. En 1798, avant le départ du général pour la campagne d’Égypte, il fit l’acquisition d’une montre à répétition, d’une pendulette de voyage et d’une montre perpétuelle. Réputées pour leur fiabilité, leur solidité et leur raffinement, les montres d’Abraham-Louis Breguet avaient de quoi séduire le jeune général alors en pleine ascension politique et sociale. Une fois Premier consul puis Empereur, Napoléon amena à l’horloger une clientèle huppée et riche qui fit sa fortune. Breguet fabriqua notamment en 1810 la première montre bracelet qui fut vendue en 1812 à Caroline Murat, sœur de l’Empereur et reine consort de Naples.

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Avec un peu plus de 300 stations, le métro dessert Paris et son agglomération au fil de l’histoire de la France. De l’Antiquité à nos jours, les noms des stations témoignent des échanges, des conflits, des découvertes, de la culture et bien sûr des grands personnages qui marquèrent la personnalité de la nation. Si l’emplacement des stations répondaient souvent aux rues qu’elles desservaient en surface, il n’en reste pas moins que l’histoire napoléonienne, des campagnes d’Italie à l’Empire, imprima considérablement ses grands noms dans la géographie de la capitale. On notera l’absence de station Napoléon Bonaparte comme sont absents nombre de chefs d’État français. Le roi Philippe Auguste, Clémenceau ou Mitterrand (en lien avec la bibliothèque éponyme) reçurent cet honneur mais le métro parisien semble avoir la préférence pour des personnages qui accompagnèrent l’Histoire, une manière de garder le souvenir vivant et quotidien, tout en parcourant Paris et ses alentours.