Lorsque Napoléon meure à Sainte-Hélène, la question des causes de sa mort devient rapidement sujet à débats. Cancer ? Poison ? Les passions s’échauffent à ces seules évocations, car même après sa mort, Bonaparte maîtrise l’art d’alimenter sa propre légende. En effet, qui ne serait tenté d’imaginer une fin romanesque à la hauteur de ce personnage hors-norme ? 

Napoléon Bonaparte meurt à Sainte-Hélène

Le 5 mai 1821 à 17h49 s’éteint à 51 ans celui qui domina un temps presque toute l’Europe. Suscitant autant l’admiration, la crainte que la haine (Tolstoï, Germaine de Staël ou Chateaubriand nous en laissèrent de vifs souvenirs), l’Empereur exilé meurt à la suite de longues souffrances dans sa maison de Longwood. Il part sans même laisser un bon mot à la postérité ; ses dernières paroles sont décevantes car confuses et peu compréhensibles. 

Depuis le mois de mars, Napoléon était alité. Supportant de moins en moins les aliments, il s’affaiblissait rapidement. Persuadé depuis fort longtemps que le mal qui avait emporté son père (un squirre cancéreux au pylore) aurait raison de lui, il refusait la plupart des médicaments prescrits par ses médecins. Pourtant, ces derniers décidèrent le 4 mai de passer outre la volonté pourtant claire de Napoléon Ier et s’accordèrent sur l’administration d’une dose de calomel diluée dans un verre d’eau. Seul le docteur François Antommarchi (1780/89 – 1838) s’opposa farouchement à cette administration, mais perdit la bataille. Louis-Joseph-Narcisse Marchand (1791 – 1876), fidèle compagnon de l’empereur, fut chargé de donner le remède secret, mission dont il s’acquitta d’autant plus honteusement, que Bonaparte, après avoir bu le contenu de son verre, dit « avec un ton de reproche si affectueux […] : « Tu me trompes aussi ? » ». Marchand, qui en fut bouleversé, ne savait que trop bien qu’il manquait à sa promesse de ne rien lui administrer sans sa permission.
La calomel eut assurément un effet, mais pas celui escompté. Et le lendemain, en fin d’après-midi, Napoléon expira. Lorsque minuit fut passé, on déplaça le corps qui fut soigneusement lavé à l’aide de l’eau de Cologne qu’il aimait tant mêlée d’un peu d’eau de la fontaine de Torbett. 

La dernière volonté de l’empereur était d’être inhumé en France, mais le gouvernement anglais s’y opposa fermement par l’intermédiaire du gouverneur de l’île. Ce dernier laissa cependant les proches du défunt choisir librement un lieu de sépulture à Sainte-Hélène.

La tombe - désormais vide - de Napoléon Ier à Sainte-Hélène.
La tombe - désormais vide - de Napoléon Ier à Sainte-Hélène.

Dans les premières années de son exil, Napoléon avait découvert sur l’île la fontaine Torbett et avait recommandé que : « si après [sa] mort, [son] corps reste entre les mains de [ses] ennemis » sa dépouille y soit déposée. Le lieu s’imposa donc de lui-même.
L’artisan tapissier Andrew Darling, chargé de superviser la fabrication des cercueils, note qu’il lui fut spécifié que « les cercueils devaient être le premier en fer blanc, garni de satin rembourré de coton, avec au fond un petit matelas et un oreiller faits des mêmes matières ; le second en bois ; le troisième en plomb ; et enfin un cercueil d’acajou recouvert de velours pourpre, si on pouvait s’en procurer. » L’acajou étant un bois rare, on sacrifia une table de cette essence pour la confection du dernier cercueil. 

Après l’autopsie de Napoléon, deux vases d’argent remplis d’esprit de vin reçurent le cœur et l’estomac. Ces vases hermétiquement fermés furent placés dans le cercueil. On scella de la même manière les cercueils successifs et on fit de la tombe de Napoléon une forteresse imprenable. La fosse fut maçonnée, dallée, le cercueil déposé à nouveau protégé d’une dalle, elle-même coiffée d’une importante épaisseur de terre naturelle. Une autre dalle à la surface indiquait l’emplacement de la tombe.
La plaque qui devait donner l’identité du défunt sur le cercueil resta muette. Car, sans que cela soit une surprise, Français et Anglais ne s’accordèrent jamais sur l’inscription la plus juste capable de désigner l’habitant du tombeau ; chaque nation avait une idée très arrêtée de ce qu’elle entendait par « juste ».

Napoléon prépare sa légende

Bien avant de mourir, et dès qu’il posa le pied à Sainte-Hélène, l’empereur demeura un féroce adversaire des Anglais. La décision de l’isoler au milieu de l’Atlantique ne suffit pas à arrêter Napoléon et les Britanniques eurent encore tout le loisir de le voir s’exercer à saper leur autorité. Emmanuel Las Cases (1766 – 1842) témoigne dans ses Mémoires des trésors d’inventivité dont fit montre Bonaparte pour donner à l’Europe l’image d’une captivité déshonorante et pour faire des Anglais d’affreux personnages, tout à fait dénués d’humanité.

Pourtant la réalité était toute autre et Napoléon était bien traité, malgré quelques chamailleries protocolaires et financières qui mettaient régulièrement Bonaparte dans une colère noire. Celle qui l’agaçait par-dessus tout tenait à ce que les Anglais ne lui accordaient que le titre de général, quand Bonaparte exigeait celui d’empereur, qu’il considérait légitime et de plein droit.

Parmi ses mises en scène les plus fameuses, le Corse fit par exemple vendre son argenterie sur la place de Jamestown pour faire croire qu’il se trouvait aux derniers échelons de la pauvreté. Les marchands de passage revenant des Indes devaient, à leur insu, jouer le rôle de commères en Europe et répandre l’infâme nouvelle. Jean Tulard, historien et spécialiste de Napoléon Ier, rappelle également que Napoléon donna « un rôle odieux à Hudson Lowe (1769 – 1844), qui par ailleurs, n’était pas un monstre de finesse ».

Avant d’embarquer à l’Île d’Aix en juillet 1815 Napoléon Ier avait refusé plusieurs projets d’évasion, « il valait mieux pour sa légende qu’il meure, comme il le dira, assassiné par le gouvernement britannique » rappelle Pierre Branda, historien français spécialiste du Consulat et du Premier Empire. L’homme avait déjà une conscience aiguisée de sa postérité.

De quoi Napoléon Bonaparte est-il mort ?

À moins de profaner le tombeau des Invalides, le saura-t-on jamais avec certitude ? Néanmoins, les nombreux récits de ses proches et des personnes témoins de son enterrement et de ses relations pour le moins conflictuelles avec ses flegmatiques geôliers orientent davantage l’enquête vers une mort de cause pathologique que vers celle d’un perfide empoisonnement. Bien sûr, cette dernière théorie a de quoi séduire ! Un personnage historique de cette envergure peut-il mourir bêtement d’un estomac défaillant ? Il semblerait pourtant que nous devions nous en accommoder.

Masque mortuaire de Napoléon, Musée de l’Armée, Paris
Masque mortuaire de Napoléon, Musée de l’Armée, Paris

D’aucuns brandissent les traces d’arsenic détectées dans ses cheveux mais c’est oublier bien vite qu’il en fut également trouvé dans ceux de Joséphine et de l’Aiglon. C’est ignorer aussi qu’au XIXe siècle, l’arsenic était très répandu dans des usages bien éloignés de l’empoisonnement, à tel point qu’il était souvent rangé dans la cuisine (et servait parfois malencontreusement d’ingrédient criminel à une gastronomie peu recommandable).
Il servait aussi à la fabrication des bougies, des cigarettes, des pigments de peinture (pour l’impression de la tapisserie notamment), de teinture ou encore de cosmétiques. De nombreuses mèches de cheveux de l’impériale tête ont été étudiées. Presque systématiquement, les rapports ont conclu de ces analyses que les doses étaient certes élevées, mais pas dans le contexte du début du XIXe siècle.

Comme la racine des cheveux présentait des traces d’arsenic, certains y virent la preuve que Napoléon avait ingérer le poison par des aliments ou du vin. Cela sous-entend d’abord que l’empoisonneur aurait du faire partie des proches de l’empereur exilé. Ensuite, ce criminel se devait d’avoir une patience à toute épreuve car aucun homme ne risquait de mourir foudroyé en ingurgitant de si faibles doses d’arsenic. Il faut donc en déduire que, dans le cas d’un empoisonnement, il aurait été imaginé un « empoisonnement au long cours ». Hélas pour cette théorie, le « service à la française » régnait à la table de Longwood, les plats étaient donc présentés sur la table et chacun s’y servait selon son goût ou sa faim. Alors, le criminel aurait du accepter de s’empoisonner en empoisonant sa victime ! Comme le résume malicieusement Jean Tulard, soit l’empoisonneur n’était pas doué, soit il a quand même mis beaucoup de temps pour tuer Bonaparte.

Quant est-il du corps que l’on retrouva presque intact en 1840 lors de son rapatriement aux Invalides ? 

Tombeau de Napoléon Ier aux Invalides, Paris.
Tombeau de Napoléon Ier aux Invalides, Paris.

L’arsenic, aussi bien qu’un embaumement, est célèbre pour conserver les corps. Encore une fois, souvenons-nous que Napoléon fut inhumé, non pas dans un, mais bien dans quatre cercueils hermétiquement fermés. Très probablement, un phénomène de saponification (transformation des chairs en adipocire) se trouva favorisé par l’absence d’air et dans ce genre de contexte, la bonne conservation d’un corps est assez souvent constatée.
En aurait-on alors profiter pour échanger le corps du souverain par un autre moins prestigieux ? Et inhumer aux Invalides un cuisinier plutôt qu’un empereur ? Là encore, il n’y a aucune raison de le croire puisque l’exhumation se fit en présence de nombreux témoins qui avaient vu la dépouille 20 ans auparavant. Or aucun ne trouva à y redire et, passée la surprise de cette étonnante conservation,  ils reconnurent sans peine le célèbre défunt.

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La question de la mort de Napoléon Ier déchaîne aujourd’hui les passions et témoigne moins de l’intérêt que suscite l’empereur que de son incroyable talent de communicant. Lui qui avait parfaitement conscience du caractère exceptionnel de sa destinée déclarait « Quel roman que ma vie ! » alors qu’il dictait ses souvenirs à Las Cases.  En effet, la comparaison était appropriée : quels meilleurs romans que ceux dont la fin entretient le mystère ?