En ce tout jeune XIXe siècle, l’économie moribonde post Révolution engagea le Premier Consul Napoléon Bonaparte à créer la Banque de France le 18 janvier 1800 afin de favoriser la reprise économique du pays. L’économe Napoléon entendait créer une valeur stable et forte au coeur d’une institution qui ne devait pas servir de caisse à l’État mais favoriser ses entreprises.
Un contexte politique et économique houleux
Le XVIIIe siècle ne fut pas bénéfique au papier monnaie. Échaudés par le scandale financier de John Law (1671 – 1729) en 1720, les Français eurent tout le loisir de confirmer leur aversion pour la monnaie imprimée lorsqu’on les berna une seconde fois en brandissant de juteux assignats révolutionnaires qui n’eurent pour autre effet qu’une inflation foudroyante et spectaculaire. Quelques-uns pourtant s’enrichirent. Parmi eux, le financier suisse Jean-Frédéric Perregaux (1744 – 1808). Précédant judicieusement la neutralité perpétuelle qui fera plus tard la fierté de sa Suisse natale, notre Helvète matois, qui frayait avant la Révolution avec les cercles aristocratiques mondains les plus courus, se garda d’afficher trop clairement ses opinions politiques lors du brutal changement de régime. Il préféra, comme beaucoup à cette époque, les adapter aux nécessités du moment. Bien lui en prit puisque les membres de la noblesse – farouchement attachés à leur tête – ne tardèrent par à fuir à l’étranger en prenant soin d’emporter avec eux une part considérable de la monnaie métallique de feu le royaume de France. Une crise financière frappa ainsi de plein fouet le peuple qui – n’ayant, lui, rien à craindre pour sa tête – avait néanmoins tout à craindre pour ses finances. Dans une conjoncture économique extrêmement défavorable, les faillites furent nombreuses et le commerce intérieur paralysé. Le Directoire s’avéra incapable de remédier au problème de façon pérenne et il fallut attendre le coup d’État de Brumaire (9-10 novembre 1799) pour voir émerger l’espoir d’une stabilité gouvernementale indispensable à un rétablissement économique du pays. C’est alors que notre fringuant banquier suisse se rapprocha de Bonaparte, le contexte et Napoléon lui souriant de concert.
Perregaux et quelques amis banquiers (Le Couteulx, Mallet et Perier) obtinrent d’abord le droit d’imprimer des billets de banque pour leur propre établissement nommé Caisse des Comptes Courants. L’objectif était de collecter l’épargne alors thésaurisée par les particuliers et d’augmenter la quantité de monnaie en circulation. La Banque de France fut créée le 18 janvier 1800 par décret et absorba rapidement la Caisse des Comptes Courants. La toute jeune Banque de France s’installa dès lors dans l’Hôtel de Toulouse, rue de la Vrillière à Paris évidemment.
Le premier Consul se voulait prudent et tint à garantir la stabilité et la fiabilité de cette nouvelle institution. Les premières émissions de billets furent donc garanties de trouver leur équivalent en quantité d’or de même valeur à toute personne qui le souhaitait. Il suffisait juste pour procéder à l’échange de se rendre rue de la Vrillière. Il en allait de la réputation de la banque et de son avenir, le premier Consul en avait parfaitement conscience. Les Français qui n’appréciaient rien de moins que de se faire pigeonner trois fois de suite se montrèrent d’abord extrêmement méfiants. Puis petit à petit, la confiance revint. Il faut le dire, l’implication personnelle, sonnante et trébuchante de Bonaparte n’y fut pas étrangère. Il plaça à la Banque une partie de ses fonds propres en gage de confiance et persuada – lourdement – sa famille et ses proches d’en faire autant. L’opération jointe aux capitaux apportés par de riches actionnaires permit de doter l’établissement d’un capital considérable et nécessaire pour asseoir son indispensable sérieux. Bientôt, la Banque de France fut l’unique banque autorisée à émettre des valeurs monétaires d’où son nom de « banque centrale ».
Cette dernière avait pour clients principaux les banques ordinaires dont l’activité consistait à prêter de l’argent aux particuliers et aux entreprises. Le principe s’appuyait donc sur la promesse de remboursement que l’emprunteur remettait à son banquier, promesse désignée sous le terme d’ « effet de commerce ». Parallèlement, les banques ordinaires avaient besoin d’argent pour accorder des prêts à de nouveaux clients. Elles devaient donc posséder suffisamment de réserves financières pour agir sans attendre que les clients emprunteurs ne remboursassent leurs dettes. Les banques ordinaires se tournaient donc vers la Banque de France et lui achetaient des billets en échange des effets de commerce dont elles disposaient. Naturellement, la quantité d’argent s’accrut dans le pays et permit de réveiller le commerce et l’industrie. À leur tour, ces derniers dégagèrent des profits qui ne manquèrent pas d’être imposés. Finalement, la valeur croissante des impôts prélevés par l’État permit au pays de s’enrichir et au premier Consul de financer son armée (et non pas ses campagnes).
Le franc germinal, une valeur économique fiable
Les premiers billets émis par la Banque de France furent d’une valeur telle qu’ils n’étaient pas à la portée de tous. Le billet de 500 francs représentait un peu plus d’une année de salaire d’un ouvrier et celui de 1000 équivalait, c’est bien logique, au double de travail. N’étant pas convertible en or ailleurs qu’à Paris, les billet restreignaient encore davantage le cercle des amateurs de liasses. Ces billets occupaient si bien les seules hautes affaires parisiennes qu’ils eurent dérouté n’importe quel commerçant s’il avait prit à un citoyen de tendre un de ces papiers monnaies pour régler un poulet (pas loin de devenir Marengo).
Par ailleurs, le souvenir de John Law et des assignats révolutionnaires restait tenace et les campagnes françaises préférèrent encore, pour leur commerce, les valeurs métalliques. La Révolution, par une loi du 15 août 1795 avait déjà décidé de remplacer la livre tournois par le « franc d’argent » mais sa seule volonté n’y suffit pas. En effet, la fougueuse et première République avait ça de commun avec Joséphine de Beauharnais (1763 – 1814) à la même époque qu’aucune ne disposait de suffisamment d’argent – métallique pour l’une, liquide pour l’autre – pour satisfaire ses besoins. Il fallut donc attendre le 7 germinal an XI (le 28 mars 1803) pour voir ressurgir ce franc qui emprunta à sa date de création le nom sous lequel il exercera jusqu’en 1928 à savoir, le franc « germinal ».
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Fabrication et sécurité des valeurs monétaires
Les deux premiers billets mis en circulation par la Banque de France représentaient des sommes considérables. Dès lors, tout devait être mis en œuvre pour empêcher du mieux possible l’apparition de faux. Le papier d’abord fut produit à la papeterie de Buges dans le Loiret mais on lui préféra rapidement celui de la papeterie du Marais à Jouy-sur-Morin. L’ajout d’un filigrane entre les deux feuilles de papier constituant chaque billet fut une des premières dispositions de sécurité. Puis vint la qualité du dessin pour lequel on fit appel à Charles Percier (1764 – 1838). Cet architecte néoclassique qui s’était distingué dans ses réalisations pour les financiers évoluant aux côtés du Premier Consul ne tarda pas à être chaudement recommandé à ce dernier qui loua longtemps ses talents. La gravure de la matrice fut confiée à Jean-Bertrand Andrieu (1761 – 1822) qui prit pour support une plaque d’acier afin de garantir un encrage toujours égal. Enfin, la gravure typographie revint à Firmin Didot (1764 – 1836) dont le nom est encore aujourd’hui bien connu des amateurs d’estampes et d’éditions anciennes. On ajouta au billet un talon, un timbre sec (gaufrage du papier obtenu à l’aide d’une presse) puis un timbre humide (une technique permettant d’imprimer simultanément au recto et au verso).
Quant à la symbolique des motifs choisis, on retrouve la forte influence de l’Empire romain (teintée du goût néoclassique né des fouilles d’Herculanum de Pompéi au XVIIIe siècle). Compas et équerre évoquent les outils des bâtisseurs usant de géométrie et d’architecture, tandis que le coq emblème de la France côtoie la balance de la Justice. Les divinités représentées sont celles des grands domaines considérés comme constitutifs d’un État fort au XIXe siècle : Vulcain pour l’industrie, Apollon pour les arts, Cérès pour l’agriculture et Poséidon pour l’empire colonial.
Les pièces de monnaie métalliques font l’objet des mêmes préoccupations, tant sécuritaires que symboliques. Les motifs républicains furent remplacés à l’avers des pièces par la tête nue de profil de Bonaparte – dont le graveur général Pierre-Joseph Tiolier (1763 – 1819) fit le portrait – accompagnée d’une légende « Bonaparte Premier Consul ». L’envers figurait une couronne d’olivier, la valeur faciale de la pièce et la légende « République française ». Bien sûr, il suffira d’une proclamation impériale pour que les motifs des pièces comme des billets soient modifiés encore une fois.
La création de la Banque de France eut un impact décisif sur l’économie du pays et son expansion impériale (bien qu’elle ne les finança pas, l’Empereur s’en défendit toujours). Le papier-monnaie se perfectionna, gagnant en sécurité et décourageant les faussaires. Pourtant, en 1959, la Banque de France émit un billet de 100 francs figurant Napoléon. Ce billet rendit célèbre le faussaire Czesław Jan Bojarski (1912 – 2003) qui se fit une spécialité de la falsification de ces « billets Bonaparte ». Sa maîtrise dans ce domaine est encore à ce jour incontestée et inégalée. Ces faux sont aujourd’hui de rares et onéreux objets de collection. Une ironie de l’histoire qui n’eut certainement pas échappée à l’Empereur s’il eut été vivant pour l’apprécier.
Marielle Brie de Lagerac
Marielle Brie est historienne de l’art pour le marché de l’art et de l’antiquité et auteur du blog « Objets d’Art & d'Histoire ».