Quelle folle histoire que celle de la colonne Vendôme ! Dressée, abattue, reconstruite, un jour piédestal d’Empereur, le lendemain porte-drapeau de la royauté. Entre fierté et regrets, d’Austerlitz à la Commune, cette colonne n’a cessé de faire jaser !


Rome, an 107 de notre ère : l’Empereur romain Trajan (53 – 117) commande une colonne de marbre pour célébrer les victoires de ses armées sur les Daces. Placée au centre du forum romain, elle retrace sur un bandeau spiralé sculpté de bas-reliefs les grands épisodes des guerres daciques (101-102 et 105-106). Elle est achevée en 113 et couronnée d’une sculpture en bronze de l’Empereur. Cette dernière disparait avec le temps et c’est celle de Saint Pierre qui s’élève à sa place à partir de 1587.

La colonne trajane, à Rome.
La colonne trajane, à Rome.

Paris, 1798 : l’architecte Bernard Poyet déclare que « Le régime républicain doit remplacer l’effet des clochers par des colonnes, des obélisques et des monuments enfin dont l’élévation, en attestant la gloire de la Nation sous l’empire de la Raison, égale au moins ces tours et ces flèches que les fanatiques avaient élevées »

Austerlitz, 2 décembre 1805 : les armées russes et autrichiennes de la Troisième Coalition sont défaites par celle de Napoléon Ier. Leurs pièces d’artillerie sont saisies. Elles vont servir un projet digne de l’Antiquité, à la hauteur de la gloire de la Grande Armée, et dans la lignée de ce que souhaitait l’architecte Bernard Poyet.

À la mémoire des braves

Le 21 mars 1800, un premier décret signé annonçait l’érection « dans chaque département, sur la plus grande place, [d’]une colonne à la mémoire des braves du département, morts pour la défense de la patrie et de la liberté ». Le projet était peut-être trop ambitieux, et s’il ne fut pas réalisé partout, il prit de formidables proportions au cœur de la capitale. Car la colonne des braves était un chantier déjà entamé lorsque Napoléon Ier remporta la bataille d’Austerlitz. Mais la réalisation peinait, les matériaux manquaient et la prise opportune des canons autrichiens et russes vint raviver le projet autant qu’elle le métamorphosa. L’Empereur vit alors l’occasion de faire de cette colonne un hommage à ses soldats aussi bien qu’un témoin de son génie militaire.
La colonne qui s’élèverait Place Vendôme serait toute entière destinée à honorer la mémoire de la Grande Armée, au moins autant qu’elle célèbrerait son chef de guerre.

Vivant Denon, directeur du Musée Napoléon (l’actuel Musée du Louvre) a déjà la responsabilité du projet. Les architectes Jean-Baptiste Lepère et Jacques Gondouin sont sollicités pour donner vie à cette immense colonne qui culminera à 44 mètres de hauteur.

Le peintre Pierre-Nolasque Bergeret est chargé de dessiner les bas-relief qui seront sculptés dans 425 plaques de bronze, serpentant du bas vers le haut de la colonne, à l’instar des motifs de la colonne Trajane. On y verra le camp de Boulogne-sur-mer face à l’Angleterre, le départ de l’armée, les batailles et le retour glorieux de l’Empereur à Paris le 16 janvier 1806.

Au sommet, la colonne moderne sera comme son ancêtre antique, couronnée de la sculpture d’un empereur, celle de Napoléon Ier. Sa réalisation est confiée à Antoine Chaudet qui prend le parti de représenter Bonaparte en empereur romain couronné de laurier, une Victoire ailée dans la main gauche, un glaive abaissé dans la main droite. 

La colonne Vendôme, Place Vendôme à Paris
La colonne Vendôme, Place Vendôme à Paris

Un anniversaire mémorable

La colonne Vendôme est enfin inaugurée le 15 août 1810, le jour de l’anniversaire de Napoléon Bonaparte qui l’espère sans doute installée pour l’éternité. C’est sans compter les vicissitudes de l’Histoire ! Moins de cinq années plus tard, le 12 avril 1814, l’Empereur abdique et ses adversaires s’empressent de faire tomber sa statue au sommet de la colonne, pour hisser à sa place le drapeau fleurdelysé de Louis XVIII qui marque la Restauration du pouvoir monarchique à la tête de la France. 

Le petit caporal est exilé à Sainte-Hélène (lien eau de Cologne), mais la distance que l’on pensait favorable à l’oubli ne fait qu’attiser la légende de l’empereur déchu. Si bien qu’à l’annonce de sa mort (lien article mort de Napoléon), sa popularité est telle qu’il serait bien imprudent de la négliger. Louis-Philippe ne manque pas de profiter de cette occasion de gagner quelque faveur populaire et fait installer, en haut de la colonne, une nouvelle statue représentant non pas l’Empereur, mais le Petit Caporal, ce meneur d’hommes et génie militaire coiffé de son éternel bicorne, la main engoncée dans son gilet. Cette sculpture de bronze réalisée par Charles-Émile Seurre est aujourd’hui aux Invalides et ne manque pas de saisir les visiteurs par son maintien et sa prestance. Pourquoi a-t-elle quitté sa colonne ? Car Napoléon III, à la fois neveu et petit-fils de l’Impératrice Joséphine de Beauharnais (sa grand-mère maternelle), est devenu Empereur en 1852 et souhaite pour le premier Napoléon du nom autre chose d’une sculpture qui tait son rôle politique dans l’histoire du pays. Le Napoléon de Seurre cède donc la place à celui d’Auguste Dumont en 1863. Encore une fois, cela ne durera pas !

La chute de la colonne Vendôme

La guerre franco-prussienne a raison du gouvernement de Napoléon III qui est fait prisonnier le 3 septembre 1870. Les nouvelles autorités de la ville auraient du ne pas trop vite se réjouir car la Commune de Paris, entre mars et mai 1871, met à bas le Gouvernement de Défense nationale alors en place aussi bien que la colonne Vendôme ! La voici accusée d’être le « symbole de force brute et de fausse gloire », aussi, elle est sciée – à grand peine – le 16 mai, pour finalement être bien vite regrettée ! 

En 1871, la Commune de Paris fait tomber la Colonne Vendôme. Une foule se rassemble autour des débris et célèbre l'évènement.
En 1871, la Commune de Paris fait tomber la Colonne Vendôme. Une foule se rassemble autour des débris et célèbre l'évènement.

La Troisième République la fait réparer et relever, faisant porter les frais de ces travaux titanesques au peintre Gustave Courbet, injustement accusé d’avoir ordonné sa démolition. Et la facture est salée : un peu plus de 320 000 francs échelonnés en paiement de 10 000 francs par an pendant 33 ans ! C’est sans doute trop pour un seul homme : Courbet meurt le 31 décembre, avant d’avoir payé la première traite du remboursement de cette maudite colonne qui dominait à nouveau de toute sa hauteur la place Vendôme depuis le 18 décembre 1875.

D’Austerlitz à la place Vendôme, la colonne contempla autant de victoires que de défaites, celles des pays comme celles des individus. Classé Monument historique depuis le 31 mars 1992, la colonne est aujourd’hui un marqueur incontournable du paysage parisien, aussi sûrement que l’est le pont Alexandre III. Si elle ne se visite pas, sachez tout de même que l’escalier en son centre mène vers une terrasse qui offre l’une des plus belles vues de Paris. 

Statue de Napoléon sur la Colonne Vendôme à Paris.
Statue de Napoléon sur la Colonne Vendôme à Paris.

Marielle Brie de Lagerac

Marielle Brie de Lagerac est historienne de l’art pour le marché de l’art et l'auteure du blog « L'Art de l'Objet ».

Privacy Preference Center