Napoléon Ier forge ses propres emblèmes loin de ceux trop connotés de l’Ancien Régime. Le jeune Empereur entend offrir de nouvelles perspectives à l’histoire de France dont les valeurs sont désormais portées par des symboles lisibles et historiques forts.


L’influence antique.

Déjà le consul Bonaparte (1799 – 1804) affichait, dans le choix de son mobilier et de ses objets d’art, une assurance qui étayait une pensée plus vaste en matière de volonté politique. Une fois Empereur, ses architectes et décorateurs Percier (1764 – 1838) et Fontaine (1762 – 1853) se chargèrent d’imposer un style officiel s’abreuvant aux goûts de l’Antiquité romaine. Meubles massifs d’acajou et de marbre évoquaient les temples antiques, la sobriété luxueuse des bronzes dorés empruntaient aux décors de la Rome républicaine tandis que les couleurs jaune d’or, vert, cramoisi, violet et pourpre puisaient aux fresques récemment découvertes d’Herculanum et de Pompéi. C’est à l’aube de son couronnement que se posa l’épineux problème des futurs emblèmes impériaux. Chacun y alla de son animal ; les moins chauvins proposèrent le lion ou l’éléphant tandis que les plus patriotes portèrent leur dévolu sur le coq. D’autres encore, plus bucoliques sans doute, suggéraient le chêne. Alors que le gallinacé sembla un temps l’emporter, il fut évincé par le lion, lui-même rayé par la main de Napoléon qui lui préféra l’aigle. L’aigle (que l’héraldique décrète féminine lorsqu’elle désigne le rapace des blasons) était aussi l’emblème de la Rome impériale et associait ainsi élégamment la haute antiquité et l’héraldique traditionnelle à travers l’évocation de l’aigle carolingienne.

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Des symboles clairs et érudits.

Si l’aigle est emblématique du règne de l’Empereur, certains symboles évoquent plus directement Bonaparte. En premier lieu citons la couronne de laurier superbement mise en scène lors du sacre de l’Empereur où la tête de ce dernier, laurée de feuilles d’or  – œuvre du grand orfèvre Biennais (1764 – 1843) – donnait à ce moment historique un caractère grandiose hérité du panache antique.

Napoléon en habit de sacre
Napoléon Ier sur le trône impérial en costume de sacre peint par Jean-Auguste Dominique INGRES (1780 - 1867) en 1806. Aujourd’hui conservé au Musée de l’Armée. © Cairn

Car ce mythologique attribut d’Apollon célébrait, à Rome, aussi bien les poètes que les chefs de guerre victorieux : le feuillage toujours vert symbolisait l’immortalité acquise par la victoire. Récompense honorifique et prestigieuse attribuée aux grands personnages militaires et, par conséquent, à l’Empereur, la couronne de laurier n’a jamais perdu de sa superbe et parvint au XIXe siècle avec la même fraîcheur, enrichie seulement de la gloire idéalisée de l’Empire romain.

Les abeilles eurent quant à elles le privilège d’être reconnues pour leur organisation, leur travail acharné et leur capacité à se sacrifier pour l’intérêt commun de leur ruche. Rien de moins qu’un symbole patriotique idéal, d’autant qu’elles tenaient de l’Église une connotation divine (elles portent la parole divine et la sagesse à Saint Ambroise et Jean Chrysostome). Par ailleurs, on cru (et ce jusqu’à récemment) que les insectes d’or retrouvés en 1653 dans la tombe de Childéric Ier– le trop peu célèbre fondateur de la dynastie mérovingienne et père de Clovis – étaient des abeilles. Or il s’avère que ces dernières étaient en réalité des cigales. Qu’importe, les abeilles de Childéric furent considérées comme le premier emblème des souverains de France. Il n’en fallait pas plus pour asseoir notre Empereur dans la continuité naturelle du pouvoir régnant sans vexer le pouvoir religieux. Ainsi lié à une Antiquité idéalisée et à une histoire sinon entomologique du moins française, Napoléon Bonaparte n’avait qu’à graver son nom dans l’histoire. Ce qu’il fit littéralement. Son chiffre (la lettre N) fut en effet sculpté sur les façades du Louvre. Néanmoins, les revanchards Bourbons, une fois revenus sur le trône, s’empressèrent de marteler et de limer la lettre impériale. Ainsi, la plupart des « N » qui ornent aujourd’hui le Louvre sont ceux de Napoléon III et non ceux de son empereur d’oncle.  Enfin, dernier symbole et non des moindres, le « N » couronné que l’on retrouve sur les pièces de monnaie de l’époque. Cette couronne aujourd’hui conservée au Louvre fut seulement utilisée le jour du sacre. Appelée Couronne de Charlemagne elle présente une allure médiévale opportune avec ses huit demi-arches d’or ornées de camées ; un globe surmonté d’une croix achève l’œuvre dessinée par Percier. Placée au-dessus de la tête de l’Empereur ceinte de lauriers, la couronne lia durant la cérémonie gloire antique, histoire et patriotisme.

Cet ensemble de symboles opéra un discours simple, clair et d’autant plus puissant que la juxtaposition de ses éléments évoque instantanément, et encore aujourd’hui, l’Empereur Napoléon Ier.